Sunday, January 10, 2010

Essebac sur le Tombeau des Stuarts (Rome, Basilique St. Pierre)


"Au-dessous de ces bustes, écrit Stendhal, (...), un grand bas-relief représente la porte d'un tombeau, et aux deux côtés deux anges dont, en vérité, il m'est impossible de décrire la beauté. Vis-à-vis est un banc de bois sur lequel en 1817, et en 1828, j'ai passé les heures les plus douces de mon séjour à Rome. — C'est surtout à l'approche de la nuit que la beauté de ces anges paraît céleste. — En arrivant à Rome, c'est auprès du tombeau des Stuarts qu'il faut venir essayer si l'on tient du hasard un coeur fait pour sentir la sculpture. La beauté tendre et naïve de ces jeunes habitants du ciel apparaît au voyageur longtemps avant qu'il puisse comprendre celle de l'Apollon du Belvédère et la sublimité des marbres d'Elgin."

Je ne sais si l'auteur du Rouge et Noir a fait école, mais pour ma part, j'ai tenu, assis sur le même banc de bois où s'écoulèrent ses heures de rêverie, à venir dans le silence doré du matin pour jouir aussi de la fragile délicatesse des jeunes hommes de marbre blanc. J'ignore l'effet que produisent sur eux les clartés agonisantes et mélancoliques du crépuscule, quand le soleil sanglant inonde la gloire de bronze de la Chaire Apostolique; mais j'ai vu que les fraîches lueurs matutinales osent à peine s'approcher de leur nudité et que, triomphantes partout ailleurs dans la basilique, elles passent auprès d'eux roses et craintives comme des amoureuses; leurs impalpables poussières se dissolvent et font, à distance, à leurs amants si jolis, une enveloppante auréole de lumières sous les irradiations des vitraux...

Hélas ! Tartufe a passé par là; je ne veux pas dire le clergé à l'esprit éclairé et libéral qui permit à Canova d'ajouter aux richesses artistiques de Saint-Pierre la jeune splendeur de ces formes humaines, mais quelque faux dévot dont l'oeil oblique dans la face huileuse dérobe sa prunelle devant le "sein qu'il ne saurait voir". Tartufe, dis-je, n'a pu contempler ces corps entièrement nus; et des voiles de bronze, merveilleusement ajustés il est vrai, et confondus avec l'éclatante blancheur du marbre, habillent cette nudité très belle, très naïve et très pure, que ne redoutaient ni le ciseau d'un Phidias, ni l'insondable génie d'un Praxitèle ni, plus près de nous, la puissance d'un Rude ou d'un Canova, continuateurs glorieux des grâces infinies de l'antique Hellade...


Les rigoristes qui firent ceci eussent condamné Phryné, en cachant leur face d'iconoclaste devant l'adorable frisson de son corps de femme. Sophocle à quinze ans, — au milieu des adolescents de son âge, rejetant avec eux ses vêtements pour chanter dans la gloire de sa blonde nudité le Paean, après la victoire de Salamine, parce que les Grecs ne trouvaient à offrir aux dieux dans les ivresses d'un triomphe et dans l'ardeur d'un enthousiasme sacré que cet hommage immédiat de la beauté toute nue, — eût été puni de je ne sais quelle peine, au nom de la morale de ces gens dont les divinités s'appellent hypocrisie et laideur !


Moi je les regarde bien en face, des épaules jusqu'aux pieds finement rattachés aux chevilles, et je les trouve beaux tous ces marbres, sous la palpitation de l'immobile vie qui fait noblement onduler les torses, se ployer les reins et se tendre les muscles dans le geste superbe des bras, dans la hardiesse vigoureuse des cuisses, dans l'élégant élancement des jambes, dans l'idéale régularité des lignes, la noblesse des poses et du maintien;

je les trouve beaux et je les goûte jusque dans les moindres fossettes qu'a voulu sur leur corps l'exact et impeccable ciseau du sculpteur... J'ai rêvé souvent de me faire un musée minuscule de leurs réductions pour vivre toujours environné de leur aristocratique beauté, pour réjouir mes yeux et les dédommager du spectacle laid de l'habituelle existence..."

Achille Essebac, Partenza... vers la beauté !, 3e éd., 1903, p. 212-215.


1 comment:

Anonymous said...

Merci de nous permettre cette lecture, judicieusement illustrée, de quelques fragments de Partenza.
Vous renouvelez la joie que procure ce journal de voyage de l'aimable, érudit, et si délicat Achille Essebac.