"Cher Philip,
Comme promis, je t'envoie un petit souvenir de ta dernière visite à Taormina... Tu te rappelles que Pascualino était derrière l'appareil photographique, il est l'auteur de cette photographie, je devrais créer un tampon "Pascualino fecit, Taormina"...
Tu étais si élégant, avec ton costume blanc... Tu as insisté pour que je sois aussi sur la photographie... Je me tiens droit contre le pilier de la porte d'entrée de mon jardin...
"Un souvenir, Wilhelm, mon ami...", m'as-tu dit, "j'aimerais tant que tu sois sur cette photographie..."
Je n'aime guère être photographié à côté de mes visiteurs et de mes clients... Mais j'ai fait une exception pour toi, Philip. Car je sais que tu as compris l'essentiel, et que tu viens chercher, parmi mes photographies, ce qui touche à l'intemporel...
Tu m'as dit tes rêves et tes pensées, nous avons parlé de Virgile et de Platon, de Straton et de Théocrite, nous aimons tous les deux la musique du latin et surtout du grec, un horizon de beauté et de perfection, d'humanité et d'intelligence...
Qui mieux que toi, Philip, pourrait comprendre l'idée, l'intention, le poème, le concept, le rêve, la musique, qui se cachent derrière chacune de mes photographies ?
Tes lettres, d'année en année, me laissent penser que parmi les multiples visiteurs que je reçois Piazza San Domenico, il en est un, au moins, qui a tout compris, qui partage mon regard et mon désir, mon coeur et ma mémoire...
Tu as compris que chacune de mes photographies est une histoire, une histoire d'amour, entre le photographe et ses modèles, entre la photographie et ceux qui choisissent de l'acheter...
Certains de mes clients ne s'attachent qu'à la surface des images... D'autres vont au-delà de la surface, vers le coeur. Car toutes mes images, tous mes modèles ont un coeur...
Chacune de mes photographies, qu'il s'agisse d'un paysage, d'un portrait, de garçons nus ou voilés, raconte une histoire, chante une chanson, est une musique.
Tu es l'un de ceux qui savent écouter la musique en regardant la photographie...
Nous nous comprenons si bien, au-delà des mots...
Pascualino me charge de te dire... Il t'aime beaucoup... Il ne t'oubliera pas... Il sait que tu l'aimes aussi...
La vie de Pascualino est ici, à Taormina... Il aime cette terre, il aime sa lumière, ses parfums, sa musique...
Mais Pascualino ne t'oubliera pas... Il n'oubliera pas Philip...
Je ne t'oublierai pas non plus, Philip... Reviens vite à Taormina, nous rêverons à haute voix des horizons que nous partageons...
Ton ami,
Wilhelm v. G."
Lettre de Wilhelm von Gloeden à Philip X, Von Gloeden Archive, call number, 1906/08/20/01.
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