Thursday, December 31, 2009
Von Gloeden sur une photographie de / on a photograph by Giovanni Crupi
Vers 1900, Giovanni Crupi a pris cette photographie de son ami et confrère Wilhelm von Gloeden, aux côtés du curé de Castelmola, au milieu de la rue San Pancrazio à Taormina. Cette photographie fut éditée sous forme de carte postale, en noir et blanc ou colorisée à la main, comme sur cet exemplaire.
Around 1900, Giovanni Crupi shot this photograph of his friend and colleague Wilhelm von Gloeden, standing besides the priest of Castelmola, in the middle of San Pancrazio street in Taormina. This photograph was published as a postcard, in black and white and in hand painted colour, like on this specimen.
Essebac sur le David de Verrochio (Florence, Uffizi)
"Et parmi ces bronzes où la Renaissance païenne entreprit de ressusciter — et fut un moment sur le point d'y parvenir — les chefs-d'oeuvre de l'antiquité, je veux m'arrêter un instant devant le David de Verrochio.
Ah ! la délicieuse fantaisie et le caprice charmant dans la sérénité de l'adolescent, le poignet replié sur le flanc à gauche, et la main droite ferme au pommeau du glaive justicier ! Non, ce n'est pas la noblesse d'un être poussé jusqu'à l'effacement de soi et magnifié dans une quasi-divinité. C'est l'être lui-même. C'est le gamin des rues fringant et batailleur, mais dont les épaules infléchies refuseraient encore la cuirasse de Saül; dont les reins joueurs ne ceindraient point la pesante épée d'Israël, ni la tête élégante le lourd casque d'airain. Je ne me souviens plus où nous fûmes servis un soir, à dîner, par un jeune drôle de dix-sept ans, aux formes amenuisées, qui cheminait alertement de la table au dressoir. Sa marche accentuait la longueur flexible de ses jambes en train de conquérir la robuste maîtrise des muscles; un pantalon étroit moulait ses hanches et révélait les ondulations fermes où le dos se retire pour prendre l'élan cambré qui tend les épaules masculines et les bras blancs très souples. Pas homme encore, plus enfant déjà, l'ambiguïté de son doux visage ajoutait à l'indécision de sa beauté. Et la virilité de son corps, pourtant, frémissait d'impatience — d'aimer ou d'être désirée ?... Je pus connaître seulement qu'il était le fils de la maison; ses yeux noirs étaient d'un père Italien tandis que de sa mère Allemande il tenait la fraîcheur du teint, la rougeur appétissante des lèvres et l'or des cheveux; le tout patiné de cette morbidesse italienne sans égale, je pense.
Or, des mercenaires allemands jadis passèrent ici; leurs joies charnelles ont dû laisser à Verrochio, peut-être, la même grâce attendrie de ce garçon très svelte, très réel et très séduisant...
Le bronze élancé du maître Florentin me fait songer à l'inutile beauté de ce jeune homme, et celui-là me plaît dans la neuve image de celui-ci.
Ce soir dont je parle, j'avais été seul à le considérer.
"... Alors le Philistin regarda, et vit David, et le méprisa; car c'était un jeune homme, blond et beau de visage." (I Samuel, XVII, 42, 43).
Achille Essebac, Partenza... vers la beauté, p. 237-239.
Wednesday, December 30, 2009
Djino
(Copenhague, Bibliothèque royale du Danemark)
"— Djino, mon garçon, ne bouge pas comme cela, tiens la pose, Djino, tiens la pose ! Comment veux-tu que je prenne la photo !?
— Pardon, Signore, pardon, c'est Giovanni qui m'appelle du jardin voisin ! Oui, je suis là, Giovanni ! Tu me vois ?
— Djino, mon garçon, retourne-toi, regarde moi ! Tiens-toi bien, tu vas tomber !
— Oui, Signore, subito, subito ! Giovanni me dit que mon père m'appelle, il mio padre, je dois aller chercher les chèvres dans la montagne... !
— Djino, Djino, une minute seulement, regarde moi, souris moi ! Tu as laissé tomber ton pagne, tu es tout nu !
— Ce n'est pas grave, Signore Barone Dottore Professore, ce n'est pas grave, ton appareil en a vu d'autres !!
— Djino, tu es un polisson, mon garçon, la pose, la pose !
— Et le pagne, maestro ? Et le pagne ?
— Djino, ne bouge plus mon garçon, c'est parfait, perfetto, molto bello, l'ombre et la lumière t'habillent mieux qu'un pagne autour des reins !! Molto bello, Djino mio, molto bello..."
(Copenhagen, Royal Library of Denmark)
"— Djino, my lad, don't move like this, please keep on posing, Djino, keep on posing ! How could I take this photograph ?
— Sorry, Signore, sorry, Giovanni is calling me from the garden beyond the wall ! Yes, I am here, Giovanni ! Do you see me ??
— Djino, my lad, please, turn round and look at me ! Be careful, you will fall from the tree !
— Yes, Signore, I will, I will ! Giovanni tells me my father is looking for me, il mio padre, I should get the goats from the mountan !
— Djino, Djino, just a minute, please look at me, smile at me ! Look ! Your loincloth felt down, you are
totally naked !
— It is not a big deal, Signore Barone Dottore Professore, it is not a big deal, your camera has seen so much already !
— Djino, you are a little devil ! My lad, the pose ! Keep on posing !
— And my loincloth, maestro ? And my loincloth ?
— Djino, don't move, my lad, you are perfect, perfetto, molto bello ! Shade and light are better clothes than this loincloth !!! Molto bello, Djino mio, molto bello... !"
Les ailes d'Eros / Eros wings
"Cher Baron von Gloeden,
Avez vous jamais rencontré dans les campagnes de Taormina un Amour ailé volant d'un coeur à l'autre
et y laissant l'image de sa beauté ? Est-ce que votre appareil photographique a pu l'attraper au vol et le fixer le temps d'un instant, le temps d'une éternité, pour nous laisser rêver à son éternelle jeunesse et à son pouvoir sur ceux qui jouent à ses jeux d'amour...
Cher Baron von Gloeden,
Vos photographies sont un mirage dans le désert de ma vie, nul autre que vous ne sait comment figer la jeunesse qui passe et donner sa fraîcheur à voir alors qu'elle s'en est allée.
J'aimerai trouver les mots pour rimer avec vos poèmes visuels, mais le langage ne saurait rivaliser avec les ombres et la lumière.
Votre ami
Michel de P."
Archives von Gloeden, Lettre de Michel de P. à W. von Gloeden, call number 1905/06/01
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"Dear Baron von Gloeden,
Did you ever meet in Taormina's countryside a winged Cupidon
flying from one heart to another one and leaving there just an image of his beauty ?
Did your camera ever catch him during his flight
and fix him, for a short moment, for eternity,
allowing us to dream about his eternal youth,
about his power on those who play the games of love...
Dear Baron von Gloeden,
Your photographs are a mirage in the desert of my life,
nobody knows better than you how to catch the flying youth
and to show youth in all its freshness although it is gone since a long time.
I would love so much to find words that could rhyme with your visual poems,
but my language cannot compete with shades and light.
Your friend
Michel de P."
Archives von Gloeden, Letter from Michel de P. to W. von Gloeden, call number 1905/06/01
Tuesday, December 29, 2009
Essebac sur Apollino (Uffizi, Firenze)
"Aussi charmant que l'Apollon de Tibulle, l'Apollon de la Tribune a les seize ans de son frère de Naples; et si l'ouvrier sublime dont le ciseau tailla dans le marbre cette fraîche adolescence pouvait entendre un reproche, ce serait assurément pour avoir donné trop de grâce troublante à cet éphèbe joli comme une jolie fille. Il en a presque les formes onduleuses et souples et parfaitement unies, les jambes et les hanches rondes et masculines pourtant, le corps si pudique simplement offert aux regards dans l'éclat de sa triomphante nudité, avec, sur les lèvres, le demi-sourire conscient de cette beauté frêle qui l'a fait surnommer l'Apollino".
Achille Essebac, Partenza... vers la beauté, p. 231.
Achille Essebac, Partenza... vers la beauté, p. 231.
Taormina - Hotel Timeo
"Taormina, le 2 février 1898,
Cher Albrecht,
Mon séjour à Taormina me ravit, je suis à l'Hôtel Timeo, à côté du Théâtre grec, face au plus beau panorama de Sicile, qui s'ouvre sur la mer et les pentes de l'Etna. Je ne me lasse pas de mes promenades dans ce village aux mille jardins, et je me suis mis à écrire, face à la mer, sur une petite table qui n'attendait que moi. Ce sera peut-être un recueil de poèmes ou un commentaire de Virgile, ou les deux...
J'aimerai savoir peindre autrement que par les mots pour te montrer la beauté de ces lieux comme des garçons que l'on y rencontre. Les belles images d'un photographe allemand, devenu mon ami, te montreront les uns et les autres, à mon retour à Berlin.
Ton ami
Friedrich von E."
(Archive von Gloeden, Lettre de Friedrich à Albrecht, call number 1898/02/25)
"Taormina, February 2, 1898,
Dear Albrecht,
I am so happy in Taormina. I am staying at Hotel Timeo, just beside the Greek Theater, in front of the most scenic view of Sicily, toward the sea and the slopes of Mount Etna. I am never tired with my walks in this village and its thousands of gardens, and I started writing, in front of the sea, on a little table which was waiting just for me. The result will be a collection of poems or a commentary of Vergil, or maybe both.. I would love to be able to paint beyond words, to show you the beauty of this place and of the boys as well one can meet here. The superb prints of a German photographer, who is working here and became my friend, will show you what I mean when I will be back in Berlin.
Your friend,
Friedrich von E."
(Archive von Gloeden, Letter from Friedrich to Albrecht, call number 1898/02/25)
Incidents
J'aime la mélancolie et la vérité de cette page de Roland Barthes, extraite de Soirées de Paris, une sorte de journal intime tenu entre le 24 août et le 17 septembre 1979...
I love the melancholy and the truth of this page by Roland Barthes, and excerpts from Soirées de Paris (Evenings in Paris), a kind of intimate diary written between August 24 and September 17, 1979. I try to provide my English speaking readers with a rough translation below.
"17 Septembre 1979,
Hier, dimanche, Olivier G. est venu déjeûner; j'avais donné à l'attendre, l'accueillir, le soin qui d'ordinaire témoigne que je suis amoureux. Mais, dès le déjeûner, sa timidité ou sa distance m'intimidait; aucune euphorie de relation, loin de là. Je lui ai demandé de venir à côté de moi sur le lit pendant ma sieste; il est venu très gentiment, s'est assis sur le bord, a lu un livre d'images; son corps était très loin, si j'étendais le bras vers lui, il ne bougeait pas, renfermé: aucune complaisance; il est d'ailleurs vite parti dans l'autre pièce. Une sorte de désespoir m'a pris, j'avais envie de pleurer. Je voyais dans l'évidence qu'il me fallait renoncer aux garçons, parce qu'il n'y avait pas de désir d'eux à moi, et que je suis ou trop scrupuleux ou trop maladroit pour imposer le mien; que c'est là un fait incontournable, avéré par toutes mes tentatives de flirt, que j'en ai une vie triste, que, finalement, je m'ennuie, et qu'il me faut sortir cet intérêt, ou cet espoir, de ma vie (Si je prends un à un mes amis — à part ceux qui ne sont plus jeunes —, c'est chaque fois un échec: A., R., J.-L. P., Saül T., Michel D. — R.L., trop court, B. M. et B. H., pas de désir, etc). Il ne me restera plus que les gigolos. (Mais que ferais-je alors pendant mes sorties ? Je remarque sans cesse les jeunes hommes, désirant tout de suite en eux, d'être amoureux d'eux. Quel sera pour moi le spectacle du monde ?) — J'ai joué un peu de piano pour O., à sa demande, sachant dès lors que j'avais renoncé à lui; il avait ses très beau yeux, et sa figure douce, adoucie par ses longs cheveux: un être délicat mais inaccessible et énigmatique, à la fois doux et distant. Puis je l'ai renvoyé, disant que j'avais à travailler, sachant que c'était fini, et qu'au-delà de lui quelque chose était fini: l'amour d'un garçon".
Roland Barthes, Incidents, Paris, Seuil, 1987, p. 115-116.
"Yesterday, sunday, Olivier G. came for lunch. The way I waited for him and welcomed him usually testifies I am in love. But, during the lunch, his shyness or his distance intimidated me. It was very far from a euphoric relationship. I asked him to come and sit beside me on the bed during my nap; he came willingly enough, sat on the edge of the bed, looked at an art book; his body was very far away — if I stretched out an arm toward him, he didn't move, uncommunicative: no obligingness; moreover he soon went into the other room. A sort of despair overcame me, I felt like crying. How clearly I saw that I would have to give up boys, because none of them felt any desire for me, and I was either too scrupulous or too clumsy to impose my desire on them; that is an unavoidable fact, averred by all my efforts at flirting, that I have a melancholy life, that, finally, I am bored to death by it and I should forget this interest or this hope... (...) I will get only hustlers. (But what will I do during my walks ? I always notice young men, and I immediately desire to be in them, to be in love with them. How will the world look like to me ?) — I played some piano for O., at his request, but I knew that I already dropped him; he had his very beautiful eyes, his tender face, made so tender by his long hairs: he was a delicate boy, but out of reach and enigmatic, sweet and distant at the same time. At last, I sent him away, I told him I had some work to do: I knew it was the end and that beyond him, sometimes has ended: the love of a boy".
For a more literary translation, see... the official one
Roland Barthes, Incidents, Berkeley, University of California Press, 1992.
Friday, December 25, 2009
Essebac sur le Saint Jean d'Andrea del Sarto (Florence, Palazzo Pitti)
"Le Saint Jean adolescent dont le jeune corps posé de si naturelle et charmante façon est le rameau nécessaire, la tige vigoureuse d'où s'élève, épanouie, la tendre floraison du visage d'une si tranquille harmonie; oh ! les grands yeux noirs et profonds cueillis peut-être dans quelque immonde vicolo napolitain; les boucles vagabondes de la splendide chevelure; et la bouche à la fois impérieuse et aimante, et toute cette chair dont le coloris patiné par les siècles est bruni comme les membres d'un rude gars parfaitement beau, robuste et plein de santé. Andrea del Sarto en a noyé les contours dans l'imprécision molle d'une obscurité voulue dont s'empare et se modèle davantage encore jusqu'au plus petit détail de cette figure vraiment jeune, radieuse et belle, de ce corps pareil au torse nu d'un pâtre latin, vigoureux et sensuel."
Achille Essebac, Partenza ... vers la beauté, 1903, p. 250.
Redécouvrir / Rediscovering Achille Essebac
Achille Essebac (de son vrai nom Henri-Louis Achille Bécasse) est né en 1868 et meurt d'une pneumonie en 1936. Une riche étude de Jean-Claude Féray l'a fait récemment sortir de l'oubli et rappelé la vie et l'oeuvre de ce "romancier du désir", du désir homosexuel.
Il connut un grand succès avec Dédé, publié en 1901, histoire d'amour aussi ardent que chaste entre deux collégiens, qui précède de quelques décennies Les amitiés particulières de Roger Peyrefitte (1944). Le succès de ce dernier éclipsa le roman d'Essebac, qu'une réédition récente rend à nouveau disponible (en français et allemand).
Achille Essebac fut l'une des figures littéraires du Paris de la Belle Epoque, comme Jacques d'Adelswärd-Fersen, dont il fut l'ami. Contemporain de Wilhelm von Gloeden et de Wilhelm von Plüschow, qu'il eut l'occasion de rencontrer, Essebac nous introduit au coeur de la culture et de l'imaginaire de ces esthètes fascinés par la Grèce et l'Italie, chantant avec lyrisme la beauté de leurs éphèbes, immortalisée dans les marbres antiques comme sur les tableaux et les sculptures de la Renaissance et l'âge Baroque, et encore si présente et sensible pour qui faisait le voyage d'Italie et de Sicile.
Le roman L'Elu (1902) nous offre d'ailleurs une magnifique description du studio, des jeunes modèles et des séances de prises de vues d'un photographe originaire d'Europe du nord, établi à Rome, le Professeur Peterson, dans lequel on reconnaît sans peine Gloeden ou son cousin.
C'est un autre livre d'Achille Essebac que je voudrais ici feuilleter: Partenza... vers la beauté ! (1898), récit de voyage en Italie qui connut un grand succès et plusieurs rééditions (je citerai celle de 1903). La couverture est illustrée par une photographie de von Gloeden.
Pour en savoir plus:
Jean-Claude Féray, Achille Essebac, romancier du Désir, Paris, Editions Quinte-Feuilles, 2008.
Achille Essebac, Dédé, Paris, Editions Quinte-Feuilles, 2009.
Liens:
L'Elu: texte intégral en ligne / full text online (in French) ici.
Une présentation générale d'Achille Essebac en anglais sur le site / A general presentation of Achille Essebac in English at gaynews.
Achille Essebac (his true name was Henri-Louis Achille Bécasse) is born in 1868 and died in 1936, from a pneumony. A recent biography and anthology by Jean-Claude Feray saved Essebac from oblivion and offer a in-depth presentation of this "novelist of desire", that is homosexual desire.
Essebac was very successful with his novel Dédé (1901), a love-story between two public-school students in Paris. In 1944, Roger Peyrefitte published its famous novel Les amitiés particulières, whose success eclipsed Essebac's book. Dédé can be found again in bookshops thanks to reprints in French and German languages.
Essebac belong to the world of writers and artists of Paris at la Belle Epoque, like his friend, Jacques d'Adelswärd-Fersen. He was a contemporary of Wilhelm von Gloeden and Wilhelm von Plüschow: he most certainly met them. Essebac leads us through the culture and the imaginary landscapes of esthets fascinated by Greek and Italian civilizations, singing with lyricism the beauty of their ephebs, as it was immortalized in ancient marbles or in the paintings and sculptures of Renaissance and Baroque Age. This beauty of teen boys was still so present for who travelled to Italy or Sicily...
In Essebac's novel L'élu (The Chosen One), in 1902, the reader will discover a superb description of the studio, of the young models and of the photographic sessions of "Professor Peterson", a photographer from Northen Europe settled in Rome: von Gloeden and von Plüschow were obviously the sources of the episode...
I would like to browse another Essebac's book, Partenza... vers la beauté ! (Departure towards beauty !) (1898), a travel narrative through Italy that was very successful. I will quote the reprint of 1903. A von Gloeden's photograph can be seen on the cover of the book.
Wednesday, December 23, 2009
Lettre de Venise / A letter from Venice
"Cher Wilhelm,
Je t'écris de Venise, où je suis venu passer quelques jours. J'avais besoin d'une pause, d'un dépaysement...
Le printemps à Venise est brumeux, mystérieux, loin de la lumière claire de Taormina et de ses panoramas qui font fuir le regard jusqu'aux neiges de l'Etna.
Je réside au Grand Hôtel du Lido. Ce n'est pas le San Domenico, mais je me sens bien ici.
Tu aimes les garçons brûlés par le soleil sicilien, aux yeux noirs, à la peau sombre, tu aimes les vêtir d'une tunique à la grecque qui les habille autant qu'elle les dénude.
Rien de tel ici. Je peux me concentrer sur mon travail: une symphonie à composer est comme un livre à écrire.
Ah si.. il y a quand même... cet adolescent accompagné de sa mère et de ses deux soeurs... Je l'ai vu pour la première fois hier soir, dans le salon de l'hôtel... Je ne sais pourquoi, mais... il est aussi blond que tes garçons sont bruns... Je pense à Botticelli, à Apollon, à Dionysos. Il est très beau...
Bien à toi
Gustav v. Aschenbach"
"Dear Wilhelm,
I send you this postcard from Venice where I spend a few days. I needed a break, a change from my old routine...
Spring in Venice is foggy and mysterious, very different from Taormina with its clear light and its panorama where the gaze can reach the snowy slopes of Mount Etna.
I am staying at the Grand Hotel of Lido. It is not the San Domenico Hotel, but I feel well here.
You love lads burnt by the Sicilian sun, with dark eyes and a tanned skin, you love to give them a tunic as ancient Greeks were used to be dressed with, but your tunic is a way to provide your boys with clothes and to show them half nude at the same time !
There is nothing similar here ! I can focus on my work: composing a symphony is like writing a book.
Well, actually, there is something, there is someone... there is this teen boy accompanied by his mother and his two sisters... I saw him for the first times yesterday evening in the lobby of the Hotel... I don't know why, but... He is as blond as your models are brune... He makes me think to Botticelli, to Apollo and even to Dionysos. He is very cute....
Yours as always,
Gustav v. Aschenbach"
Narcissus
"Dear Wilhelm,
I am back in Berlin, but Taormina's sun light still surrounds me and in my memory, I am still walking in the gardens of the San Domenico Hotel. Nino and Giovanni, Marco and so many others are still so present and so close to me, while I browse my album of albuminate photographs, while I dream about the graceful silhouettes and the so beautiful portraits of your young Sicilian friends.
I love to read and read again my Classical authors while looking at your photographs Ovid and Vergil, Plato and Theocritus. I recognize in the set up of your photographs Castor and Pollux, Achilles mourning for Patrocles, Ixion, stuck on a wheel, Adonis and Ganymedes, and I even see a saint Sebastian lost among a so pagan landscape ! Philology is a German science (Altertumswissenchaft rules !) and there is probably a good reason for it ! You are the philologist of my desires !
But... I don't see Narcissus ! I love so much this beautiful myth about love and death, about seduction and metamorphosis, where a pretty teen boy is caught in the trap of the desire for his own beauty. Please, look at this painting by Gustave Coutois, admire the posture, the tenderness, this cute face caressing its reflected image, the forgotten time, a deep sleep coming...
Dear maesto, maybe this painting could bring you some inspiration, perhaps you could find in Taormina the spring of clear water and the beautiful lad who will fall in love with his recflected image. Would you please be so kind as to let me see such a scene under the Sicilian sun ?
With all my respects and already all my deepest thanks,
Your friend, for ever, Ludwig"
"Dear Ludwig,
Many thanks, my dear friend, for this beautiful painting of Narcissus: I love too his tender way to fall asleep.
Did I forget Narcissus among my photographic paintings ? Ach so...
Please, look again and better, Ludwig ! Narcissus is everywhere ! My models are so fascinated by thei reflected image and by the magy of my camera obscura, that catches their appearance and mirrors it for ever on the glass negative plate ! Look at these eyes, look at this face, fixed forever in front of a mirror !
Dear Ludwig, you are at the same time the mirror and the spring of clear water, you are the gaze that allows my photographs to exist !
In Taormina, Narcissus never dies, but looks at you forever !
I am happy to offer you this portrait, the most obscene, for sure, among my recent photographs ! Read Ovid, dear Ludwig, again and again !
Your friend
Wilhelm v. G."
(von Gloeden Archive, Letter from Ludwig to von Gloeden, Letter from von Gloeden to Ludwig, call number: 1985/09/12 and 1895/10/1).
Narcisse
"Cher Wilhelm,
De retour à Berlin, le soleil de Taormina m'entoure encore, et je me promène en mémoire dans les parcs de l'Hôtel San Domenico. Je revois Nino et Giovanni, Marco et tant d'autres, en feuilletant mon album de photographies albuminées, en rêvant sur les gracieuses silhouettes et les beaux portraits de vos jeunes amis Siciliens.
J'aime à relire mes Classiques en regardant vos images : Ovide et Virgile, Platon et Théocrite. Je reconnais dans vos mises en scène si étudiées Castor et Pollux, Dionysos et ses satyres, Achille pleurant Patrocle, Ixion cloué à sa roue, Oreste et Pylade, Adonis et Ganymède, et je vois même un saint Sébastien dans ces paysages si païens ! Ce n'est pas pour rien que la philologie est une science allemande, vous êtes le philologue de mes désirs !
Mais je ne vois pas Narcisse ! J'aime tant ce beau mythe d'amour et de mort, de séduction et de métamorphose, où un bel adolescent se laisse prendre au piège du désir pour sa propre beauté. Regardez ce tableau de Gustave Courtois, admirez la pose, la tendresse, le visage qui effleure son reflet, le temps oublié, le sommeil qui vient !
Cher maître, peut-être ce tableau pourrait-il vous inspirer, et sans doute trouverez-vous à Taormina la fontaine d'eau claire et le beau jeune homme qui tombera amoureux de son reflet. Voudriez-vous me donner à voir cette scène sous le soleil de Sicile ?
Avec mille respects et déjà tous mes remerciements
Votre ami, pour toujours, Ludwig"
"Cher Ludwig,
Merci, mon ami, pour cette belle image de Narcisse dont j'aime moi le tendre abandon.
Ai-je oublié Narcisse dans mes peintures photographiques ? Ach so...
Mais regardez mieux, Ludwig ! Narcisse est partout ! Mes modèles sont fascinés par leur reflet et par la magie de ma camera obscura qui capte leur image et la réfléchit à jamais sur une plaque de verre ! Regardez ces yeux, regardez ce visage, hors du temps, figés pour toujours dans ce face-à-face avec le miroir !
Cher Ludwig, vous êtes le miroir et la source d'eau claire, vous êtes le regard sans lequel mes images n'existeraient pas.
A Taormina, Narcisse ne meurt pas, mais vous regarde à jamais !
Je vous offre ce portrait, la plus obscène, sans doute, de toutes mes photographies récentes. Relisez Ovide, cher Ludwig, relisez Ovide !
Votre ami,
Wilhelm v. G."
(von Gloeden Archive, Lettre de Ludwig à von Gloeden, Lettre de von Gloeden à Ludwig, call number: 1895/09/12 et 1895/10/1).
Tuesday, December 22, 2009
Mon cher Georges
"14 Février 1925,
Mon cher Georges,
Dans quinze jours, je serai à Paris et en attendant, je suis dans le plus joli coin de la Sicile. Il faudra que tu viennes ici un jour ou l'autre, c'est calme, reposant, extrêmement joli. Tu t'y plairais ! Ce matin, nous avons fait une promenade en barque à la Grotte d'azur où l'eau est d'un bleu merveilleux. A bientôt, mon vieux cousin, j'aurai beaucoup de choses à te raconter. Présente mon respectueux souvenir à tes parents. pour toi, toutes mes amitiés [signature illisible]".
Tout collectionneur de cartes postales anciennes est un peu dans la position de qui recevrait par erreur un courrier qui ne lui est pas adressé. Celui-ci m'est parvenu presque 85 ans après avoir été envoyé de Taormina. Et de toute évidence, je ne suis pas Georges, "le vieux cousin" du scripteur.
Ne connaissant ni l'un ni l'autre, je ne peux que rêver entre les lignes de cette carte postale, écrite un 14 février et envoyée le 15, le tampon de la poste de Taormina faisant foi. Sur l'image, une flèche pointe l'Etna et en donne, sur la marge blanche, le nom. Il est vrai que la légende de la carte fait porter l'attention sur le seul Théâtre grec. Mais cette flèche et cette indication manuscrite ont peut-être aussi pour fonction d'attirer l'attention du lecteur, de l'inviter à lire entre les mots.
"Le plus joli, extrêmement joli... tu t'y plairais ! J'aurai beaucoup de choses à te raconter". Par exemple qui était avec moi, lorsque "nous avons fait une promenade en barque à la Grotte d'azur".
S'agit-il, entre ces mots anodins, de se dire, entre deux cousins, que Taormina est le paradis de ceux qui ne sont pas mariés et qui aiment autrement ?
"J'aurai beaucoup de choses à te raconter..."
Pourquoi l'auteur de cette carte a-t-il passé quinze jours à Taormina, entre février et mars 1925 ?
February 14, 1925,
My dear Georges,
In two weeks, I will be in Paris and for now, I am in the prettiest place of Sicily. You should come here sometimes in the future, it is quiet, peaceful and extremely pretty. You would enjoy this place ! This morning, we made a tour on a small boat to the Grotte d'Azur, where water has such a wonderful blue colour. See you soon, my dear old cousin, I would have so many things to tell you ! Please give my best regards to your parents. For you, all my friendly thoughts [unreadable signature]".
Any collector of vintage postcards will sooner or later feel that he mistakingly received a message that was not written to him. I received this postcard almost 85 years after it was sent from Taormina and, obviously, I am not Georges, the "dear old cousin" of the writer.
I have no idea of who the both of them were, I can just dream while reading this postcard, written on february 14 and sent on february 15, as the Taormina post office's stamp testifies it. On the photograph, a handwritten arrow is directed toward the peak of the Etna mountain, while its name is written on the margin. As a matter of fact, the legend of the postcard puts the emphasis on the Greek Theater only. But the arrow and the place name in the margin were perhaps ways to focus the attention of the reader, to invite him to read between the words...
"The prettiest, extremely pretty... You would enjoy this place... I would have so many things to tell you". For example, who was with me when "we made this tour in a small boat to the Grotte d'Azur".
Should we guess that, among these insignificant words, the writer was trying to say to his dear old cousin that Taormina is a paradise for men who are not married and who love in a different way ?
"I would have so many things to tell you..."
Why did the writer of this postcard spend two weeks at least in Taormina, between february and march 1925 ?"
Asrah
"In the 1890s, Gloeden visited Tunis, and took pictures of local sights; he later seems to have used some North African models in studio photographs, through he preferred Italian scenes and ragazzi. Gloeden was interested enough in North Africa, however, once to photograph himself attired as an Arab. Most of his Tunisian scenes were landcapes (...). Other photographs, not unlike the work of Lehnert and Landrock, show the robed figures common in European images of the Maghreb. (...) Such views avoid eroticism and differ little from other images guaranteed to intrigue Europeans with foreign costumes and models.
A few images are more sexualised. In 'Achmed' (or 'Asrah'), a model with long eyelashes and pretty face poses with his robe open on a smoothly burnished chest, a romantic photograh of Oriental male beauty. (...) Such photographs would have caused no offence even to sensitive viewers, and no more risqué Arabic pictures taken by Gloeden survive. Perhaps his stay in Tunisia was too short, or he lacked the privacy of a studio to take daring photographs. North Africans might have been less willing than Sicilians to pose nude or assume sexually suggestive positions. Gloeden may simply not have been sufficiently taken with North Africans to attempt such mises-en-scène. His North African pictures remain more aesthetic than erotic, through a homosexual viewer could hardly be immune to the beauty of several youths, or the possibility, lightly implied, of sexual adventures in Tunisia."
Robert F. Aldrich, Colonialism and Homosexuality, Routledge, 2003, pp. 173-174.
Monday, December 21, 2009
Taormina railway station
"Une chose est certaine: Taormina a construit sa fortune touristique sur les extravagances, les bizarreries, les folies de ses visiteurs, sur les "amours singuliers" (pour reprendre l'expression de Peyrefitte) et les vices privés (mais si peu secrets) de ses barons...
Il y a une masse d'anecdotes fort colorées sur les personnages de ces années... Les visiteurs, les fameux "barons", arrivaient par un train spécial, que l'on avait créé exprès: le Londres-Paris-Taormina. A Rome, on ajoutait une voiture en provenance de Berlin. On l'appelait "le Train des Barons". Ses wagon-lits réunissaient "la fine fleur de la pédérastie européenne".
Gaetano Saglimbeni, I peccati e gli amori di Taormina, Messina, 1990, p. 32-33 et 56-57 (cité par Giovanni Dall' Orto).
"There is no doubt that Taormina built its touristic fame on the eccentricities, odd and strange ways of its visitors, on the "amours singuliers" (according to Peyrefitte) and private vices (but far from being secret) of his barons...
There are so many colorful stories about the characters of these years... The visitors, the so-called "barons", were travelling to Taormina in a special train, created just for them: the London-Paris-Taormina. In Rome, a carriage from Berlin was added. It was called "The Train of the Barons". In its sleepers was gathered the flower of European pederasts.
Gaetano Saglimbeni, I peccati e gli amori di Taormina, Messina, 1990, p. 32-33 and 56-57 (quoted by Giovanni Dall' Orto).
Pour te revoir passer (Fersen)
"Pour te revoir passer,
Dans ton joli sourire,
Pour un soir de délire,
Pour pouvoir t'embrasser,
J'aurais donné les astres
Qui brillent au ciel bleu,
Pour un seul de ces astres,
Qui brillent dans tes yeux.
Pour ta légère pose,
Et puis pour ta fraîcheur,
J'aurais cueilli des roses:
Les roses sont tes soeurs.
Pour tes lèvres si fines,
J'aurais meurtri mon coeur,
Enivré de douceur,
Pour tes lèvres gamines,
Mais puisqu'en un seul jour
C'est la fin du poème,
Et que ce mot: je t'aime,
Tu l'ignoras toujours,
Je t'offre ma prière,
Comme à l'ange entrevu,
Et mes yeux qui t'ont vu
Gardent ta lumière.
Si par hasard.. des fois...
Mon histoire lointaine
Arrive jusqu'à toi,
Oh, jusqu'à toi, ma peine,
Rien qu'un regret, un pleur,
Calmera ma souffrance,
Et même dans l'errance,
Calmera ma douleur.
Car pareil au grand ciel,
Qu'un nuage fit sombre,
Ton souvenir dans l'ombre
Me rendra le soleil !
"
Jacques d'Adelsward-Fersen
L'Hymnaire d'Adonis
Paris, Librairie Léon Vanier, Editeur
1902
p. 156-157..
Sunday, December 20, 2009
Ma chère Emma / My dear Emma
"Le 9 Février 1905,
Ma chère Emma,
J'ai écrit à L. il y a trois jours, mais je n'attendrai pas sa réponse ici, comme je pars après demain pour Rome. Mon adresse à Rome sera c/o [illisible]. Je laisserai direction que mes lettres me suivent. Je n'ai pas encore reçu aucune lettre de Caire (Caine ?). Votre ami, Jim (Jm ?)"
Ce voyageur qui visite Taormina durant l'hiver 1905 est préoccupé par les lettres qu'il écrit et celles qu'il ne reçoit pas. Comment garder le contact entre Paris, Rome et Taormina ? La carte postale envoyée à Emma dit l'angoisse des liens que l'on tisse, des liens qui se rompent. Elle dit peut-être aussi la peur d'une solitude, que la carte choisie pour cet échange vient mettre en image.
La promenade panoramique des jardins du Grand Hôtel San Domenico est bien déserte. Les neiges de l'Etna, en arrière-plan, les arbres sans fleurs disent la froidure de l'hiver. Assis sur un fauteuil, en retrait des bancs vides, un homme au visage indiscernable semble être un étranger en villégiature, tant le chapeau et un costume que l'on devine élégant le distinguent des paysans et des pêcheurs de Taormina. Les jambes nonchalamment croisées, il regarde le photographe et fournit l'échelle humaine du panorama qui s'ouvre derrière lui.
Ma chère Emma,
J'aimerai tant en savoir plus sur ce que cette carte montre, mais ne vous dit pas. Pourquoi ce séjour hivernal à Taormina de votre ami Jim (si je lis bien la signature...) ? Qu'est-il venu chercher ici, en cet hiver 1905, avant de se rendre à Rome ?
Ma chère Emma (aima ?),
Il me plait d'imaginer que votre ami aimait les garçons et que Taormina était l'un des rares lieux, en 1905, où cela pouvait se dire et se vivre. Résider pour quelques jours au S. Domenico était, pour ainsi dire, entrer dans la représentation, de l'autre côté du cadre, entrer dans les photographies de von Gloeden, respirer le même air et la même lumière que ses modèles à peine voilés. Ma chère Emma, peut-être votre ami a-t-il rencontré Giovanni ou Marco, Peppino, Pietro ou Nicola, qui ont prêté leur beauté aux bergers de Virgile et de Théocrite...
Si peu de précisions sur son séjour à Taormina, l'accent sur un proche départ, vers Rome, dernière étape avant Paris, mais le choix d'une image entre mille autre possibles (le Théâtre grec de Taormina eût été plus transparent) me font deviner tant de choses que votre ami ne pouvait vous dire...
Mais peut-être, ma chère Emma, est-ce juste mon imagination...
Votre ami, Jim (?), ne m'a laissé que ces quelques indices pour déchiffrer l'énigme de son séjour à Taormina.
Je ne sais par quel hasard, ma chère Emma, mais cette carte qui vous était destinée en 1905 vient de me parvenir en 2009.
Bien à vous, comme toujours,
Votre ami
Mr. Butterfly
------
"On February 9, 1905,
My dear Emma,
I wrote to L. three days ago, but I am not expecting to receive his answer here, because I am leaving in two days to Rome. My address in Rome will be c/o [I cannot read]. I will leave instructions so my letters will be redirected to me. I did not receive any letter from Cairo (Caine ?). Your friend, Jim (JM ?)"
This traveller who visited Taormina during 1905 winter was very concerned by the letters he wrote, by the letters he did not receive yet. How to keep in touch, between Paris, Rome and Taormina ? The postcard he sent to Emma tells a concern about his personal web, about links he wanted to save, but that could be broken. Perhaps it also expresses a fear of loneliness, and the choice of this postcard to be sent to Emma just put an emphasis on this loneliness.
The panoramic promenade in the gardens of the San Domenico Grand Hotel seems to be quite deserted. The snowy slopes of Mount Etna, in the background, trees without flowers tell us that this is winter, at its coldest peak. While benches facing the sea are empty, we can see a man sitting on an armchair, a bit behind them. His face cannot be seen, but he looks like a foreign visitor: his hat and clothes that seem to be elegant make him so different from Taormina's peasants and fishermen. This gentleman, with his legs crossed, is looking at the photographer and provides the photograph with a human scale for the scenic view of the landscape behind him.
My dear Emma, if I may,
I would love so much to know more about what this postcard shows, but don't tell you. Why did your friend Jim (if I read correctly the signature of the postcard) spend a few days in Taormina ? What was he looking for here, in Febr. 1905, before going to Rome ?
My dear Emma (aima ? This pun cannot be translated: in French, "Emma" sounds like "aima", that is "loved").
I imagine that your friend whas loving young men and that Taormina, in 1905, was one of the few places where such a love could be said and lived. Spending a few days at the San Domenico Grand Hotel was, so to say, walking through the frame of representation, entering von Gloeden's photographs, breathing the same air and the same light as his barely veiled models. My dear Emma, perhaps your friend came to Taormina in order to meet Giovanni or Marco, Peppino, Pietro or Nicola, who gave their beauty to Theocritus or Vergil's shepherds....
In this postcard, there is no information about his actual stay in Taormina, but an emphasis about his forthcoming departure to Rome, last step, perhaps, before going back to Paris... So many other postcards could have been chosen, for example a view of Taormina Theater could have been far more neutral... Well, I feel and guess so many things your friend was unable to tell you...
Perhaps, my dear Emma, it is just my imagination...
Your friend, Jim (?), left me only a few clues to solve the enigma of his stay in Taormna, in february 1905.
I don't know, I don't know how or why, my dear Emma, but I just revceived, in 2009, the postcard he sent to you in 1905.
Yours, as always
Your friend
Mr. Butterfly
"Viens, donne-moi ton coeur comme un bijour d'amour" (Fersen)
"Nous nous serons aimés chastement, en silence,
Et seuls nos yeux d'enfant auront compris l'aveu
Que nos doigts murmuraient à se frôler un peu,
Comme sur du cristal une fleur qu'on balance.
Nulle vaine parole, oh, nul serment menteur
Ne frémiront en nous aux ruptures prochaines,
Et ce sera sans honte et sans tardive peine
Que nous écouterons se souvenir nos coeurs !
Seulement, aux soirs clairs remplis de voix qui tintent,
Et de chansons voilées on croirait par la nuit, —
Tu reverras, muets, mes yeux qui t'auront dit
Tout un amour immense en des splendeurs éteintes."
Jacques d'Adelsward-Fersen
L'Hymnaire d'Adonis
Paris, Librairie Léon Vanier, Editeur
1902
p. 207.
L'Hymnaire d'Adonis
Paris, Librairie Léon Vanier, Editeur
1902
p. 207.
Die Freundschaft (December 1926)
"Die Freundschaft was one of the more popular sex variant publications during Germany's Weimar era, running from 1919 until it was shut down by the Nazis in 1933.
In addition to its contribution to the legal struggles for homosexual emancipation, Die Freundschaft allowed its contributors to draw from a broad range of cultural and literary resources to articulate subjective experiences of same-sex desire. Through the use of personal narrative, the writers of Die Freundschaft sought to develop a new model for human relationships which would serve as an alternative and a challenge to what they called bürgerlich or bourgeois modes of alliance. The writers in Die Freundschaft acknowledged that their unique desires removed them from the world of marriage and family, but rather than re-articulating their desires so as to make them compatible with bürgerlich standards, the contributors chose to embrace the differences which marked them from the larger German society. The purpose of Die Freundschaft, then, was not only to serve as a medium through which a minority could petition society, but also a construction of a liminal space which allowed both readers and writers to "evade new regulatory regimes that operate primarily by inciting them to speak." In articulating identities to each other, rather than to an embodiment of authority, the writers in Die Freundschaft were able to move beyond the focus on materialistic notions of sexuality and explore the symbolic and religious aspects of same-sex love.
As a textual space in which Weimar Germany's sex variants were able to reformulate the identities provided to them by a body of scientific research, Die Freundschaft allowed for the creation of sex variance centered upon a subjectively spiritual experience, rather than scientific formulations. This led to an articulation of same-sex love that focused on the sacred bond of friends, a traditional German concept.
Moreover, it fused Hirschfeld's notion of a "third sex" with theosophical theories of reincarnation to argue that sex variants were karmically bound to find their soul mate. In this world view nature was seen as the ideal setting in which one could discover one's true self, one's spiritual destiny, and possibly one's soul mate. Die Freundschaft published articles in which authors described Eros as a sacred and powerful force which could affect the lives of sex variants. In this way Die Freundschaft facilitated the articulation of sex variance which built upon, and deviated from the materialist framework, engaging the spiritual world as a way of hallowing same-sex love."
Max Fassnacht, Enchanted Desires, Sacred Embodiements: Sex and Gender, Variant Spiritualities in Weimar Germany, Master Thesis, The University of British Columbia, Vancouver, 2008.
© Max Fassnacht, 2008.
Friday, December 18, 2009
Memories from someone with the same name as you
Well, okay, on popular request (??), I will try to translate in English my last post... Hard task, believe me...
What I tried to say was...
... For anyone interested in Taormina, at the beginning of the XX c., in this small city of fishermen and peasants that became one of the favorite touristic places of Europeans travelling to Italy, this postcard, sent from Taormina on February 24, in 1903, to a French (who else ? note of the translator) correspondent, provides a lot of matter of dream about....
If Taormina was such a place to visit for so many men from England, Germany, France or Poland, Americas or Asia, it was not only because of its splendid panorama, with Mount Etna and Mediterranean sea, it was not only for its scenic ancient Greek remains, for example, its Greek Theater...
Many of these foreign visitors were trying to get to the source of those totally new images, circulating since the late years of the XIX c. and shown only among men sharing the same sensitivity and the same sexuality. Ephebs featured on von Gloeden's albuminate photographs inspired a desire to see more, to go through the mirror of representation and to share a vision, a moment of life, or more, if affinity, with a face or a gaze, with the curve of a torso, with the outline of a body, with a memory or a hope, exposed to the Sicilian sun...
"Memories from someone with the same name as you". This is a laconic formula. What is expressed here, what is concealed ? The Greek theater of Taormina suggests a lot of things, while the word "memories", undeveloped, leaves few room to interpretation...
What was unsaid, and why ?
And why such a game about identity ? "Someone with the same name as you"... Does one ever meet such a person ? Such a meeting is probably as fascinating as a view one as one oneself while looking at a mirror....
What is at stake here is the name... Name defines my identity, provides me with a place in a genealogy, with a status in the registry office of my city and of my country... My name is supposed to be unique, to be mine and to make me different from anyone else.
Someone with the same name as me is just another me... !
But may I share the memories of someone else ? What he lived, what he felt, who he loved, who he drealt bout should be already in my memory ?
"Memories from someone with the same name as you...".
Who are you ? What is my name ? I should look at the reverse side of the postcard to know it...
For now, I prefer to dream that your name is mine, I will look at the reverse side of the postcard tomorrow...
Souvenirs de ton homonyme
Pour qui s'intéresse à Taormina au début du siècle dernier, à ce village de pêcheurs et de paysans qui était devenu l'un des lieux de villégiature favoris de tous les Européens qui faisaient le voyage d'Italie, cette carte, envoyée le 24 février 1903 à un destinataire français ouvre un immense espace de rêverie.
Ce n'était pas seulement le splendide panorama, entre mer et Etna, ni l'engouement pour les ruines grecques, fûssent-elles aussi spectaculaires que celles de ce théâtre, qui firent de Taormina une étape obligée pour tant de visiteurs venus d'Angleterre ou d'Allemagne, de France ou de Pologne, des Amériques ou d'Asie.
Beaucoup d'entre eux rêvaient de remonter à la source de ces images inédites, qui circulaient depuis la fin du XIXe siècle et ne se montraient qu'entre regards partageant la même sensibilité, la même sexualité. Les éphèbes albuminés de von Gloeden éveillaient le désir d'en voir plus, de traverser le miroir de la représentation pour partager un moment de vue, ou de vie, ou plus, si affinité, avec un visage ou un regard, le galbe d'un buste, une silhouette, un souvenir ou un espoir, dans toute la lumière de Sicile.
"Souvenirs de ton homonyme". La formule est laconique. Que dit-elle, que cache-t-elle ? En quoi le choix du théâtre grec de Taormina ouvre-t-il ce que le mot "souvenirs" referme ?
Quel est le non-dit, pourquoi ce non-dit ?
Et pourquoi ce jeu sur l'identité ? "Ton homonyme". Rencontre-t-on jamais "son" homonyme ? Un face-à-face aussi sidérant que le fait de se regarder dans un miroir...
Le nom est ici impliqué. Ce qui fonde mon identité, me donne une place dans un lignage familial, dans un état civil. Ce par quoi je suis reconnu et nommé par d'autres. Ce qui fait de moi une personne à nulle autre pareille.
Mon homonyme ? Un autre moi-même !
Mais puis-je avoir les souvenirs d'un autre ? Qu'a-t-il vécu, ressenti, aimé, rêvé qui ne serait pas déjà dans ma mémoire ?
"Souvenirs de ton homonyme"
Qui es-tu ? Quel est mon nom ? Il me suffit de retourner la carte postale pour le savoir...
Pour le moment, je préfère rêver que ton nom est le mien, et je retournerai la carte demain....
Les Soirs (Fersen)
Adalberto Tiburzi, Alone (Capri 2007)
Posted with the permission of the author
Creative Commons 3.0. License
Please visit the site of this great Italian photographer
http://www.pbase.com/adalberto_tiburzi
"Il est des soirs ardents où l'on voudrait aimer,
Où l'on se sent le coeur plein d'extase et de gloire,
Où l'univers entier apparaît dérisoire
Pour pouvoir contenir ce qu'on voudrait aimer !
Il est des soirs câlins où le rêve nous grise,
Et où le souvenir vous étreint comme un chant,
Où les instants flétris évoquent en passant
Un fantôme perdu dont le rêve nous grise...
Il est des soirs mauvais où la haine surgit,
Comme un serpent couvé par notre pensée blème,
Où l'on voudrait tuer en soi le Remords même,
Le remords d'autrefois dont la haine surgit;
Il est des soirs d'angoisse où se tord la souffrance
Et où nos pauvres corps se sentent les vaincus.
Ma prière, ô mon Dieu, ne l'entendez-vous plus,
Ou suis-je détaché des humaines souffrances ?
... Il est des soirs très doux où l'on voudrait mourir,
Bercé par la musique étrange d'une église,
En donnant un baiser à des lèvres exquises,
Des lèvres de sommeil dont on voudrait mourir....
Mais il est des soirs gris où sans savoir l'on pleure,
Où les larmes de deuil attristent sans raison.
O qu'un seul mot d'amour éclaire la Prison,
La Prison d'amertume où sans savoir l'on pleure !"
Jacques d'Adelsward-Fersen
L'Hymnaire d'Adonis
Paris, Librairie Léon Vanier, Editeur
1902
p. 90-91
Saturday, December 12, 2009
Metamorphoses
Les photographies de von Gloeden nous plongent dans une Antiquité rêvée, celle de Platon, de Théocrite et de Virgile, celle des bergers et des éphèbes en fleurs, celle d'un homoérotisme qui imprégnait toute la culture de ces temps anciens.
Cette utopie visuelle est créée à grand renforts d'accessoires — bandeau ou couronne végétale dans les cheveux, pagne négligemment posé sur les hanches, coupe tenue en main, tandis qu'un tonneau (anachronique !) donne à la scène sa tonalité dionysiaque.
Il y a aussi la mise en scène d'ensemble, une colonne à l'arrière-plan, le déhanché nonchalant d'un éphèbe, coupe en main, qui accepte la première caresse d'un autre, qui tient une oenochoé d'une main.
Les poses comme le dégradé des teintes des corps font référence à la statuaire antique, il est tant d'Apollon ou de Dionysos qui atteignent à ce degré de grâce et d'élégance...
Comme Ovide, von Gloeden était le poète des Métamorphoses. Il avait un don inné pour transformer, le temps d'une photo, les jeunes bergers et paysans des ruelles et de la campagne de Taormina. La nudité à l'antique faisait disparaître les humbles vêtements de la vie quotidienne. Les corps des garçons, extraits de la routine des travaux et des jours, étaient transfigurés dans une mise en scène qui en faisait les acteurs d'un théâtre du désir. Le désir de l'un pour l'autre n'était qu'une mise en abyme du désir de qui achéterait la photo ou ferait le voyage de Taormina pour rencontrer les modèles eux-mêmes.
Von Gloeden's photographs plunge us into a dreamt Antiquity, the Antiquity of Plato, Theocritus and Vergil, the Antiquity of shepherds and blossoming ephebs, in a homoerotic atmosphere that pervaded the whole culture of these ancient times.
Such a visual utopia is created with the help of many props - a headband or a ivy crown through the hairs, a loincloth casually put around the hips, a drinking cup in a hand, while an anachronistic barrel provides the whole scene with its dionysiac touch.
Let's notice also the stage set up, a column at the background, an epheb standing with his one weight on a hip, holding a drinking cup in one hand, while he does not push away the caressing hand of another lad, holding a wine jug in his other hand.
The models poses as well as the gradation of their bodies tints refer to ancient sculpture: there are so many Apollo or Dionysius that reach this level of charm and elegance.
Like Ovid before him, von Gloeden was a poet in the art of metamorphosis. He had a unique gift for changing the whole appearance of young shephers and peasants one could meet in Taormina's lanes or countryside. While being nude, in the ancient way, the models could be seen without the modest clothes of their daily life. The photographer's stage set up transfigured these boys into the actors of a theater of dersire. The exhibited desire of one model for the other one mirrored and expressed the desire of the man who would buy the photo or who would perhaps travel to Taormina, in order to meet the models themselves.
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