Friday, January 29, 2010

Une question / a question


Je suis tombé amoureux de cette photographie de von Gloeden. Est-ce une garçon, est-ce une fille ? J'ai un doute... Von Gloeden aimait le travestissement, les perruques... Je vois dans ce beau portrait le visage d'un garçon... Qu'en pensez-vous ?

I felt in love with this this photograph by von Gloeden. Who is depicted ? A boy or a girl ? I have a doubt... Von Gloeden was a master in the art of disguise, in the mastering of appearances... For me, the subject of this beautiful portrait is a teen boy... What do you think ? 

Une lettre de Philip à von Gloeden / A letter from Philip to von Gloeden


Cher Wilhelm,

Je fais confiance à la poste italienne pour que ma lettre vous parvienne, un jour...

J'aime vos photographies — je les ai vues chez quelques ami(e)s, j'en ai acheté quelques unes moi-même.

Elle me font rêver, elles ouvrent de vastes horizons, en même temps qu'elles invitent le regard à se focaliser, sur une silhouette, sur un corps, sur un visage, sur un sourire, sur des courbes, sur ce je ne sais quoi qui rend le désir d'un garçon fort différent de celui d'une fille...

J'aimerai dire que ce qui accroche mon regard dans vos photographies est l'inattendu, et en même temps l'évident; la nouveauté et le plaisir de la découverte dans des schèmes profondément ancrés dans mon regard et ma sensibilité. 

Qu'est-ce qui peut conduire un homme à en désirer un autre, plus jeune ? Le désir d'un corps, le rêve d'une caresse, des regards à croiser, des mains à entrelacer... Mais aussi écouter la musique d'une âme, et y glisser la sienne, pour en faire une polyphonie, où les différences se croisent dans des harmoniques imprévisibles.

Cher Wilhelm, vous me connaissez, nous avons longuement parlé, Piazza San Domenico, à votre studiolo de Taormina... 

Vous m'aviez demandé: "Philip, êtes vous heureux ?" Et je vous avais répondu: "Wilhelm, qu'est-ce que le bonheur ?"

Je vous réponds aujourd'hui que, sans doute, je serais plus heureux, si je n'aimais pas que des ombres...

Je pense aux ombres qu'Ulysse cherche à étreindre, dans son approche des Enfers... 

Quel est le plus important ? Aimer ou être aimé ? Aimer est un don de soi, être aimé est un don de l'autre...

Je ne sais si je rencontrerai l'autre, un jour prochain, dans le temps, compté, qui m'est encore donné...

Philip

Von Gloeden Archive, Letter from Philip X to W. von Gloeden, 12.06.90, call number: 1890/06/12/2

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Dear Wilhelm,

I trust enough Italian post to believe that you will receive my letter sooner or later..

I love your photographs — I have seen some of them at some friends places, I have bought some of them myself...

Your photographs make me dream, they open wide horizons, and at the same time, they invite the gaze to focus on a silhouette, on a body, on a face, on a smile, on curves, on this very special detail that makes the desire for a boy very different from a desire for a girl..

May I say that what catches my eyes in your photographs is what is unexpected and, at the same time, what is obvious: something new, a pleasure of discovery, among patterns deeply rooted ibto my gaze and my sensitivity.

What could lead a man to desire an other one, a younger one ? Desire of a body, a dream of caresses, some gazes that should meet, some hands that should be crossed with other hands... But also listening to a soul, and introducing his own soul in the concert hall in order to create a polyphony, where differences between the two of us will create unpredictable harmonics... 

Do you remind me ?  we had such a long talk when we met Piazza San Domenico, at your studiolo. 

You asked me: "Philip, are you happy ?" And I answered you: "Wilhelm, what is happiness ?"

Today, I would answer you that I would be happier if I would not love only shades.

I mean the shades Odysseus was trying to catch while being close to the infernal world...

What is the most important ? To love or to be loved ? Loving is a gift of oneself, being loved is a gift of the other one...

I don't know if I will ever meet this other one, soon, in the time that is given to me...

Philip

Von Gloeden Archive, Letter from Philip X to W. von Gloeden, 12.06.90, call number: 1890/06/12/2.

Thursday, January 28, 2010

Une lettre de Nino / A postcard from Nino



"Mon Nino,

Mille mercis pour ta carte. Je vois que notre Wilhelm signe toujours ses photographies en latin, mais accepte les titres en langue barbare. Ah, le théâtre grec de Taormina...  Que de voix, que d'ombres hantent ce lieu: Agamemnon et Antigone, Oedipe et Clytemnestre, les choeurs tragiques, les pantomimes et les danses comiques.

Les meilleures places étaient au sommet des gradins... Peux-tu imaginer, mon Nino, écouter la langue d'Eschyle ou de Sophocle et voir au-delà des colonnes les fumées de l'Etna ou les reflets de la mer jouant avec le soleil.. ?

J'aurais aimé vivre à Tauromenium.. J'y aurais peut-être rencontré l'historien Timée et j'aurais lu son oeuvre que Polybe critiqua tant... J'aurais fréquenté cette bibliothèque de gymnase dont une pierre inscrite nous conserve une partie du catalogue... J'aurais peut-être délaissé les livres pour regarder des garçons nus s'entraînant aux arts de la gymnastique, couverts d'huile et de poussière. Quelle drôle d'idée, une bibliothèque dans un gymnase...

Donne mes amitiés respectueuses à notre Wilhelm.

Ses photographies de toi me permettent de te parler tous les jours, et de t'écrire parfois.

Tibi as always

Jacques"

(Von Gloeden Archive, Letter from Jacques to Nino, not dated. Call number: 0000/23).


"My Nino,

Thousand  thanks for your postcard. I see our Wilhelm is still signing his photographs in Latin, but accepts to provide them with a title in a Barbarian language. Ah... Taormina Greek Theater... So many voices, so many ghosts are haunting this place: Agamemnon and Antigone, Oedipous and Clytemnestra, tragic choirs, comic pantomims and dances.

The best seats were at the top of the theater... Could you imagine, my Nino, listening to Aeschylus or Sophocles language, and at the same time, beyond the columns, looking at the smoking Etna mountain or at the sea mirroring the sun ?

I would love to live in ancient Tauromenium... Perhaps I would have met the historian Timaeus and I would have read his book that Polybius criticized in such a harsh way... I would have visited this gymnasium library whose catalogue is partly saved on an engraved stone. Maybe, I would have put the books away to look at the naked boys training themselves in the arts of gymnastics, covered with oil and dust. What a strange idea, to create a library in a gymnasium...

Please, give my respectful and friendly regards to our Wilhelm.

His photographs allow me to talk to you everyday and to write to you once and a while.

Tibi as always

Jacques"

(Von Gloeden Archive, Letter from Jacques to Nino, not dated. Call number: 0000/23).

Wednesday, January 27, 2010

Le visage de von Gloeden / von Gloeden's face

Merci à l'auteur du commentaire sur le message récent "Confraternité", à qui je réponds ici.

L'illustration qui accompagnait ce message était la carte postale dérivant de la photographie albuminée originale. La carte postale n'est pas datée, et ne comporte pas d'autre légende que celle qui est visible sur le recto.

La photographie albuminée originale est reproduite dans le livre de Vincenzo Mirisola et Giuseppe Vanzella, Sicilia Mitica Arcadia, Von Gloeden e la "Scuola" di Taormina, Palermo, Edizioni Gente di Fotografia, 2004, p. 59. Dans ce livre, la légende indique: Wilhelm von Gloeden (attrib.), Self-portrait with priest, albumen print, c. 1890.

La photographie est attribuée à von Gloeden, car elle ne comporte sans doute pas de cachet au verso et il évident qu'une autre personne se trouvait derrière l'appareil.

Cette photographie est aussi reproduite en ligne ici:
Autoportrait avec prêtre

Toutes les photographies connues de von Gloeden sont réunies sur la page suivante:
von Gloeden portraits

J'accompagne ce message de deux portraits datant des années 1890, et qui me semblent fort proches du visage de l'homme que l'on voit sur la carte postale "Confraternité". Qu'en pensez-vous ?









Thank you to the reader who left a comment about my recent message "Confraternité". My answer is in this new post.

The illustration of the "Confraternité" message was a postcard printed from the original albumen photograph. The postcard is not dated and there are no other indications than what is written under the photograph.

The original albumen photograph is reproduced in the book by Vincenzo Mirisola and Giuseppe Vanzella, Sicilia Mitica Arcadia, Von Gloeden e la "Scuola" di Taormina, Palermo, Edizioni Gente di Fotografia, 2004, p. 59. In this book, there is this legend under the photograph : Wilhelm von Gloeden (attrib.), Self-portrait with priest, albumen print, c. 1890.

The photograph is attribuited to von Gloeden because there is probably not his usual copyright stamp on the verso. It is obvious too that someone else was behind the camera.

The albumen photograph is available here:
Autoportrait avec prêtre

All the known portraits of von Gloeden are gathered on this page:
von Gloeden portraits

I post in this message two portraits dated ca. 1890: I find a strong ressemblance with the face of the bearded man on the postcard "Confraternité". What do you think ?

Tuesday, January 26, 2010

Un poème sans mots / A poem without words

Confraternité


Cette carte postale d'après une photographie de Crupi montre, semble-t-il, une scène de la vie religieuse à Taormina, le départ de la procession de la Confraternité, sans doute au moment de Pâques. Qui est ce personnage barbu et vêtu de blanc, tenant un étendard en main, et dont le regard mystique semble aspiré vers les hauteurs célestes ?

C'est Wilhelm von Gloeden lui-même... Peut-être fit-il partie effectivement de la Confraternité de Taormina ? Un protestant dans une fête de la très catholique Sicile ? Peut-être aussi avec son ami, le curé de Castelmola (?), a-t-il créé cette mise en scène de toute pièce, pour fournir à Crupi la matière d'une photographie "pittoresque" répondant à la demande des nombreux touristes en quête de couleur locale. Il y a une troisième explication: von Gloeden aimait les déguisements, les mises en scène théâtrales, les jeux de rôles. Ses photographies transformaient les garçons de Taormina en faunes ou en bergers arcadiens, en Saint Sebastien ou en Achille et Patrocle. Lui-même aimait à se faire photographier sous le déguisement d'un brigand sicilien, du dieu Poséidon, d'un arabe sorti d'un palais tunisien.

Ici, il apparaît sous les traits d'un ascète et mystique sicilien, aux côtés du curé qui, moins familier sans doute, des mises en scène sophistiquées de son ami allemand, regarde avec gravité l'oeil du photographe caché derrière sa drôle de machine à illusions.



On this postcard, drawn from a Crupi's original photograph, it seems we look at a scene of the religious life in Taormina, that is the departure of the procession of the Confraternité, during the Easter period. Who is this bearded man, wearing white clothes and holding a standard ? His mystical gaze seems looking up at the sky itself...

This man is von Gloeden himself... Maybe he was a member of the Taormina Confraternité ? A Protestant in a feast of the so Catholic Sicilia ? Maybe too, with his friend, the priest of the Castermola parish (?), von Gloeden imagined this whole scene, in order to provide Crupi with a picturesque scene to be bought by the many foreign visitors to Taormina, looking for "couleur locale". There is a third explanation: von Gloeden enjoyed so much fancy dresses, theatrical set up, role games. He was used, through his photographs, to change the boys of Taormina into fauns or shepherds, into San Sebastian or Achilleus and Patrocles. He loved to be photographed by one of his assistants, disguised as a Sicilian brigand, as the god Poseidon himself, or as a Arab man in a Tunisian palace...

We can see him disguised as a ascetic and a mystical Sicilian man, beside the priest. The later seems less familiar with the sophisticated stage set up of his German friend. He looks so seriously, straight into the eye of the photographer, hidden behind his weird illusionnist equipment...

Le San Domenico: une légende de Taormina (2) / A Taormina legend (2)



Avant d'être transformé en hôtel de luxe en 1896, le monastère San Domenico connut une trentaine d'années d'abandon relatif et de déshérence. Von Gloeden ne pouvait rester indifférent à son architecture magnifique, à sa cour baignée de lumière entourant un puits ancien, à son cloître et à ses colonnes. Il connaissait bien les lieux, car sa maison et son studio photographique se trouvaient juste en face du monastère, Piazza San Domenico.

Il utilisa le site comme décor de certaines de ses photographies. Les colonnes du cloître pouvaient suggérer une architecture à l'antique.



Et le puits central lui inspira l'une de ses photographies les plus originales... Les résidents du San Domenico Palace pouvaient-ils se douter que les magnifiques jardins et la cour intérieure de l'hôtel avaient été le théâtre pour de telles mises en scène sensuelles ?


Before the great opening of the Hotel, in 1896, the San Domenico monastery was left unoccupied and abandoned during almost thirty years. Von Gloeden could not ignore such a scenic architecture, the courtyard enlightened by sunlight, with a well in the middle, the cloister and its columns. Actually, von Gloeden was very familiar with the place, because his house and studio were just in front of the monastery, Piazza San Domenico.

He used the courtyard and the cloister as a stage set up for some of his photographs. The columns of the cloister reminded ancient architecture. The central well inspired him one of his most original photographs... Could the rich guests of the San Domenico Palace ever imagine that the gorgeous gardens and the inner courtyard of their hotel were the stage of such sensual photographs ?

Jacques Adeswärd-Fersen - T'en souvient-il ?


Ce fut un murmure,
Ce fut un délire,
Son de toutes lyres,
Dans l'azur !

Ce fut une pluie
De roses très fines.
Presque mousselines,
Sur la nuit.

Ce fut une aurore,
Une aurore étrange,
Où passaient des anges
Aux yeux d'or.

Ce fut — il effleure —
Un parfum d'ivresse,
Union de caresse
Et de fleurs,

Et parmi les ailes,
Ces odeurs légères,
Parmi ces voix claires,
Un appel !

Oh ! douceurs, rosée,
Chansons, espérance,
L'amour à sa naissance:
Ton baiser !

... Ce fut un murmure,
Ce fut un délire,
Son de toutes lyres
Dans l'azur.

Jacques Adeswärd-Fersen, L'Hymnaire d'Adonis, Paris, Librairie Léon Vanier, 1902, pp. 77-78

Saturday, January 23, 2010

Hotel San Domenico: une légende de Taormina / A Taormina Legend


L'église (aujourd'hui détruite) et le monastère San Domenico furent construits à Taormina au XVe siècle, grâce aux financements d'un noble de Catane, le frère dominicain Damiano Rosso. En 1430, il fit un don définitif de tous ses biens au monastère. Une clause de son testament, toutefois, prévoyait que le monastère reviendrait à ses descendants, si jamais les moines devaient abandonner les lieux. Ce fut le cas en 1866, lorsque l'Etat italien tenta de prendre possession de tous les biens ecclésiastiques...

C'est en 1896 que le monastère San Domenico de Taormina fut transformé en hôtel. Les cellules des moines deviennent des chambres luxueuses. Le cloître continue à entourer une oasis de fleurs et de verdures. Le San Domenico sera le palace de Taormina, l'emblème de son développement touristique, le lieu de séjour obligé de la jet-society du début du XXe siècle qui faisait le Grand Tour de l'Italie et de la Sicile.

Une photo de 1905 atteste la présence du Kaiser, immortalisé lors d'une promenade dans le cloître. Le 6 avril 1906, c'est le souverain anglais, Eduard, qui est dans les lieux. En 1913, l'hôtel accueille le Grand Duc Paul de Russie et la comtesse de Hohenfelsen. Le livre d'or du palace conserve, pour la même époque, de nombreuses autres signatures, de grand-ducs, de princes russes et de barons allemands. Le 10 avril 1913, l'écrivain Anatole France signe à son tour le registre et un peu plus tard, la même année, ce sera Umberto de Savoie. Le 28 Septembre 1920, le savant Guglielmo Marconi laisse à son tour sa signature en ajoutant: "Dans l'espoir de revenir..." Et il revient en effet le 18 mars 1925 et écrit à nouveau: "Dans l'espoir encore de revenir.." Mais il ne reviendra plus.

Hélène de Savoie, duchesse d'Aoste, signe le registre en 1922, tandis que le 9 mai 1923, Richard Strauss laisse la trace de son passage. Sergio Voronoff est là en 1924, le roi d'Espagne, Alphonse XIII, séjourne à l'Hôtel en 1927, tandis que Luigi Pirandello laisse une trace de sa présence le 16 janvier 1928. Du 20 novembre au 3 décembre 1937, Himmler, homme de sinistre mémoire,  est au San Domenico.

On trouve dans les dernières pages du cahier les signatures du roi Farouk, de Thomas Mann, l'auteur de Mort à Venise, et de John Ernst Steinbeck.

Le San Domenico a également reçu les étoiles du cinéma européen et américain: Marlene Dietrich, Susan Hayward, Ingrid Bergman et Gary Grant, Audrey Hepburn et Sophia Loren. Ava Gardner en compagnie d'Adlai Stevenson et d'autres amis fit une entrée remarquée dans les lieux, de même que Sam Spiegel, le magnat d'Hollywood qui fut le producteur de Lawrence d'Arabie. Il était accompagné d'un groupe d'amis bruyants parmi lesquels se trouvait l'actrice Romy Schneider, leur seule exigence était de déguster un plat de spaghettis cuisinés par le chef du San Domenico !

(source: Giuseppe Quatriglio, "Il San Domenico di Taormina", Rivista Sicilia, n. 45).



The San Domenico church (no more existing today) and monastery were built in Taormina in the XVth century, thanks to the fundings of a nobleman from Catania, the Domenican monk Damiano Rosso. In 1430, he bequeathed his fortune to the monastery. In his will, however, a special clause stated that the monastery would belong to his heirs if the monks had to leave the place. Such a situation happened in 1866, when the Italian government tried to take possession of all the Church estates.

In 1896, the San Domenico monastery became an hotel. The monks cells became luxurious rooms. The cloister still surrounded an oasis of flowers and vegetation. The San Domenico will be from now the Taormina palace, the emblem of the touristic development of the city, the place where one should stay when one was part of the jet society which was visiting Italy and Sicily in the "Grand Tour".

A 1905 photograph attests the presence of the Kaiser, walking in the cloister. On April 6, 1906, Eduard, the King of Great Britain is one of the guests of the Hotel. In 1913, Grand Duc Paul of Russia and Countess of Hohenfelsen stayed in this place. The guest book of the Hotel displays many other signatures of Grand Ducs, Russian princes and German Barons. On April 10, 1913, the French writer Anatole France stayed at the San Domenico. A bit later, in the same year, Umberto of Savoie is at the Hotel too. On September 28, in 1920, the Italian scientist Guglielmo Marconi, signed the guest book: "I hope to be back soon...". He came back, on March 18, 1925 and he wrote again: "I still hope to come back one more time..." But he did not...

Helen of Savoie, Duchess of Aosta, signed the guest book in 1922, as Richard Strauss did, on May 9, 1923. Sergio Voronoff stayed at the Hotel in 1924, as well as the king of Spain, Alfonso XIII, in 1927. Luigi Pirandello was here too, on january 16, 1928. From November 20 to December 3, in 1937, Heinrich Himmler was at the San Domenico too: dark and cursed is the memory of this man...

In the last pages of the historical guestbook of the Hotel, one can find signatures of King Farouk, of Thomas Mann, the writer of Death in Venice, and of John Ernst Steinbeck.

The San Domenico was also THE place to stay for all the stars of European or American movie industry: Marlene Dietrich, Susan Hayward, Ingrid Bergman and Gary Grant, Audrey Hepburn and Sophia Loren. Ava Gardener, with Adlai Stevenson and other friends, made a sensational entering in the Hotel, as well as Sam Spiegel, a Hollywood magnate who was the producer of Lawrence of Arabia. He was with a group of noisy friends, French actress Romy Schneider was one of them. Spiegel and his friends just wanted to have a spaghettis dinner cooked by the San Domenico chef !

(source: Giuseppe Quatriglio, "Il San Domenico di Taormina", Rivista Sicilia, n. 45).

Friday, January 22, 2010

The San Domenico Hotel: a good place to stay



Question 1

Bien sûr, pourquoi avoir créé ce blog ? Quel est le sens de ce parcours dans un monde perdu, oublié, vintage, so to say...

Que représente Taormina pour moi ? Je n'y suis allé qu'une seule fois... et je n'y ai pas rencontré Wilhelm von Gloeden... Trop tard, bad luck...

Pourquoi mener cette archéologie d'un désir homosexuel, qui est le mien, qui pourrait aussi s'exprimer ici et aujourd'hui ?

Pourquoi ce détour par l'ailleurs et l'autrefois, pourquoi introduire les médiations de l'histoire et de la distance critique, de l'art et de la littérature dans un art d'aimer qui devrait s'écrire dans la vie de chacun, de mes lecteurs comme de moi-même.. ?


Of course, first question: why did I create this blog ? What is the meaning of such a trip through a lost, a forgotten and so to say, a vintage world ?

What does mean Taormina for me ? I visited this place only once, and I did not meet Wilhelm von Gloden... Too late, bad luck indeed...

Why should I be the archaeologist of a gay desire that is mine, obviously, and that I could probably express too with the words of today and of the place where I am ? 

Why do I need to go such a long way round, to go elsewhere and to the past, why do I need to introduce such an  historical and a critical standpoint, to summon up the strength of art and literaure in order to define an ars amandi, a way to love, that could be written in the lives of anyone, of my readers as well as in mine... ?

Essebac on von Plüschow photographs (2)

Why is it so hard to translate in English a French writer  from the beginning of XXth c. describing  photographs of young male models he saw in Rome ? Achille Essebac's style and sensitivity are so unique... his artistic vision is so particular... As far as I know, no one of his novels were translated in English... Oh well, the answer to my first question is because I am a poor English speaker myself ;-)


Well, as it was clear from part 1 of this post, Essebac was more moved by photographs of young men from Rome and Naples than by those of Taorminian boys. That is, he preferred von Plüschow portraits... rather than von Gloeden's ones...

Let me try now to translate his lyrical praise of von Plüschow models....

"Ephebs totally naked or draped, in such an artistic way, in white antic clothes ! They wear on their feet leather sandals or Greek cnemides,  emphasizing perfect legs... Around their heads, a crown of flowers or just a white band containing the black buckles of their hairs... They are marvellous examples of such an elegant blood, I would even say a divine blood, because in all the outlines of their bodies, one can see the inexhaustible splendour of marbles from ancient Greece. How cute are the shoulders of these teen boys whose magnificent nudity is smiling to the sun of Naples ! Such a glorious sap of youth carry in some of these teen boys, from their delicate feet to their tight chest (...) like a visible tepidness of a life one could touch while caressing their tired members. In some other models, a caressing lassitude is shown in the way they are stretching their limbs, as very young cats... This lassitude is distending their members full of health, it is visible on the surface of their body, it creates curves, it raises to the magnificent and immortal summits of pagan gods the pleasant manhood of these young men".

Achille Essebac, Partenza... vers la beauté !, 3e éd., 1903, p. 194.

Essebac sur von Pluschow et von Gloeden (2)



Je poursuis ma lecture du récit de voyage en Italie d'Achille Essebac, au début du XXe siècle. Dans les boutiques de photographes de la via Sistina à Rome, il évoque les mérites respectifs de l'école de Taormina (von Gloeden) et de Rome et Naples (von Plüschow) dans l'art de photographier des jeunes gens plus ou moins dénudés. Voici la suite de son éloge des photographies de von Plüschow:

"Ephèbes entièrement nus ou drapés, avec quel art ! dans la blancheur de vêtements antiques soulevés par de jeunes bras aux gestes d'une grâce absolue, chaussés de sandales de cuir ou de cnémides qui soulignent la perfection des jambes, couronnés de feuillages, ou bien les boucles noires des cheveux simplement contenues dans un bandeau de laine blanche, ce sont les types merveilleux d'une race extrêmement élégante, et j'écrirais volontiers divine, tellement, dans tous les purs reliefs de leur corps, s'épanouit l'inépuisable splendeur des marbres grecs. Les jolies épaules des adolescents, dont la superbe nudité tout entière sourit au grand soleil napolitain ! Des sèves glorieuses de jeunesse, chez les uns charrient — des pieds délicats aux poitrines tendues, des haches assouplies aux nuques annelées de soieries brunes — des tiédeurs visibles de vie palpable sous les ondoiements des membres fatigués. Une lassitude câline étire paresseusement chez les autres des langueurs énervées de jeunes chats; elle gonfle les membres de pleine et robuste santé, elle joue à fleur de peau, cambre la chair, élève jusqu'aux magnificences immortelles des divinités païennes la virilité plaisante des jeunes hommes."

Achille Essebac, Partenza... vers la beauté !, 3e éd., 1903, p. 194.

Wednesday, January 20, 2010

Une carte postale de von Gloeden / A postcard by von Gloeden


(collection personnelle / my private collection)

La fine ceinture blanche et la feuille de vigne furent dessinées sur la photographie originale de von Gloeden, où ce gracieux jeune homme était totalement nu.

The white belt and vine leaf were drawn upon the original von Gloeden's photograph, where this graceful young man was totally naked.

Gaston Goor



Le banquet de Trimalcion. Peinture de Gaston Goor sur une porte intérieur de l'appartement de Roger Peyrefitte (1970)
Trimalcio's Banquet. A painting by Gaston Goor on a door of Roger Peyrefitte's house (1970).

in: Roger Peyrefitte, Un Musée de l'amour, Photographies Marianne Haas, Editions du Rocher, 1972.

Garçon ou fille ? Boy or girl ?



Gaetano d'Agata (1883-1949) est l'un des photographes de l'"école de Taormina", aux côtés de von Gloeden et Giovanni Crupi. Ses photographies de paysages et de personnages siciliens se retrouvent sur un très grand nombre de cartes postales reproduites à des milliers d'exemplaires, dans les premières décennies du XXe siècle, et envoyées dans le monde entier par les touristes qui séjournaient à Taormina.

D'Agata fut aussi l'assistant de von Gloeden et il réalisa entre 1920 et 1930 un certain nombre de nus masculins, qui n'atteignirent pas la qualité artistique et l'originalité des photographies de son maître.

Cette carte postale porte au revers la mention habituelle: "Premiata Fotografia d'Arte G. D'Agata".

Le vendeur à qui j'ai acheté cette carte postale la présentait comme un "nu féminin". Les jambes croisées, le jeu de l'ombre et de la lumière, les traits du visage trop indistincts laissent planer une certaine indécision. La musculature des cuisses et mollets me laisse penser qu'il s'agit d'un garçon. Le modelé du buste, en revanche... ?

Qu'en pensez-vous ?   ;-)


Gaetano d'Agata (1883-1949) was one of the photographers of the so-called "Taormina school", with with von Gloeden and Giovanni Crupi. His photographs of Sicilian landscapes and characters were used on postcards and several thousand of copies were printed, during the first decades of the XXth c., and sent abroad by tourists who visited Taormina.

D'Agata was also an assistant of von Gloeden and he shot some photographs of nude male models, between 1920 and 1930. These photographs, however, did not reach the artistic originality of those by von Gloeden.

On the reverse side of this postcard, there is the usual mention: "Premiata Fotografia d'Arte G. D'Agata".

I bought this postcard from a seller who considered it as depicting a nude female portrait. Crossed legs, the interplay of shade and light, a face not distinct enough maintain some ambiguity. The musculature of calves and tighs make me think the model is a boy. On the other hand, the curves of the torsoe suggest it could be a girl...

What is your opinion ?

Tuesday, January 19, 2010

Essebac on von Gloeden and von Plüschow photographs (1)



Von Gloeden, Portrait (my personal collection)

Let me try to provide my English speaking readers with a rough translation of this text by French novelist Achille Essebac...

"Via Sistina [in Rome] is the street of photographs dealers. The business of photography is important here, it answers the need to bring back home a material souvenir of what delighted our eyes. Beside reproductions of any kind of monuments and works of art (the later are already very interesting...), there are some charming photographs; these are artistic photographic of young male models, in many places, but especially in Rome, Naples and Taormina. Taormina's lads are superb, but their nudity looks a bit rough; their most beautiful eyes shed light on regular faces, but unexpressive: it is impossible to guess any thrill in their inner being. Except some young boys delicate and almost girlish in their prettiness, most of them look like strong stallions, and indeed, they will procreate children as beautiful as they are; I would almost say they are quite beautiful beasts, because it seems to me they display mainly a beautiful animality, despite the pure outline of their faces where no thought is wandering. What a difference with the boys of Naples or Rome ! What an exquisite delicacy in their eyes, in their mouth whose lower lip is receding to the chin that terminates a flawless profile; what a deep harmony of shapes and lines ! It is the energic and almost musical beauty of enlightened and velvety bodies."

Achille Essebac, Partenza... vers la beauté !, 3e éd., 1903, p. 194-195.


I cannot agree totally with Achille Essebac... For me, the "lads of Taormina" show us sometimes their souls: their faces and their gazes have an almost metaphysical beauty, inviting to have a look into their inner depths, to imagine questions and thoughts that, beyond von Gloeden's photographic plates, still impress today viewers...

This gorgeous portrait is one of my recent acquisitions. It makes me dream, through all the thoughts and the feelings expressed by this boy's eyes...

Essebac sur les photographies de von Gloeden et von Plüschow (1)



(Von Gloeden, Portrait, ma collection)

"La via Sistina, la rue des marchands de photographies dont la consommation est grande, ici, comme le besoin d'emporter avec soi le souvenir matérialisé de tout ce qui enchante les yeux. A côté des reproductions de monuments quelconques et d'oeuvres d'art  qui déjà, celles-ci, sont pleines d'intérêt, il y a des photographies charmantes; ce sont des études de modèles prises sur nature, un peu partout, particulièrement à Rome, à Naples et à Taormine. Les gars de Taormine sont superbes, mais leur nudité a l'aspect un peu rude; leurs yeux très beaux éclairent des visages réguliers, mais fermés, ne laissant deviner aucun frisson de leur être intérieur; à part quelques jeunes garçons délicats et d'une joliesse plutôt efféminée, les autres ont des allures solides d'étalons et feront, certes, de beaux enfants comme eux; j'allais dire de fort jolies bêtes, car il m'a paru que c'est l'animalité jolie qui domine surtout en eux malgré la forme pure des visages où ne s'égare aucune pensée. Mais ceux de Naples et de Rome ! Quelle exquise finesse dans les yeux, dans la bouche dont la lèvre inférieure fuyante vers le menton termine un profil impeccable; quelle intense harmonie de formes et de lignes ! c'est l'énergique et presque musicale beauté des chairs lumineuses et veloutée."

Achille Essebac, Partenza... vers la beauté !, 3e éd., 1903, p. 194-195.


Je ne peux partager entièrement le jugement d'Achille Essebac... Il me semble en effet que les "gars de Taormine" nous montrent parfois leur âme et que leurs visages et leurs regards ont une beauté quasi métaphysique, ouvrant sur des abîmes intérieurs, des questions et des pensées qui, au-delà des plaques photographiques de von Gloeden, continuent à impressionner celui qui les regarde aujourd'hui.

Ce magnifique portrait que j'ai acquis récemment me fait rêver par la multitude des pensées et des états d'âme qui habitent ce regard...

Fersen - Chanson Chaste



"Dans tes bras je veux m'endormir,
Mes jeunes rêves ont sommeil:
Comme un rayon de soleil,
Dans tes bras je veux m'endormir...

Tu berceras l'enfant poète,
Tu lui diras des chansons douces,
Avec ta tendre voix de source,
Tu berceras l'enfant poète.

Demain matin quand les oiseaux
S'envoleront aux alentours,
Sur ton front, des baisers d'amour,
Tu poseras, petit oiseau!...

Si par hasard je ne m'éveille,
Si ma prunelle restait close,
Tu me coucheras sous des roses,
Si jamais plus je ne m'éveille:

Dans tes bras je veux m'endormir,
Mes jeunes rêves ont sommeil !"

Jacques Adeswärd-Fersen, L'Hymnaire d'Adonis, Paris, Librairie Léon Vanier, 1902, p. 167-168.

Saturday, January 16, 2010

Rêves sepia / Sepia dreams


(my collection)
J'aime ces cartes postales de von Gloeden, variations sepia sur des photographies dont il subsiste quelques rares tirages dans des musées ou des collections particulières. J'aime la mise en scène savamment étudiée, inspirée par la statuaire et la peinture antiques, comme par les réminiscences d'une poésie qui célébrait les beautés adolescentes dans les gymnases d'Athènes ou les campagnes rêvées d'Arcadie. Tout est si tranquille et si paisible, figé dans le temps de la pose.

J'aime la fragilité de ces images imprimées par Adolph Engel à Berlin, en 1905. Tout ici est évanescent, les couleurs, le contraste, les formes, la beauté, la jeunesse... Il fait chaud, si chaud sur cette terrasse exposée en plein soleil, face à la mer, face à l'Etna... Les garçons abandonnent leurs voiles, les fleurs répandues sur le sol ont des senteurs aussi obsédantes que le chant des cigales, l'Etna se perd dans des brumes de chaleur, les gamins de Taormina s'imaginent dans une Idylle de Théocrite ou dans une Bucolique de Virgile. A moins que ces silhouettes sepia ne soient qu'un rêve, inspiré par les épigrammes de Straton et immortalisé sur une plaque photographique qui aurait capté sur une terrasse déserte et baignée de lumière les ombres d'un monde oublié...


(my collection)
I love these vintage postcards, that offer sepia variations around von Gloeden photographs -- a few full size printings are known in museums or private collections. I love the stage so carefully set up, inspired by ancient sculpture and painting, as well as by memories of a poetry that celebrated teen boys beauty in Athens gymnasiums or in the dreamt landscapes of Arcadia. Everything, everybody is so quiet and peaceful, motionless as long as the photograph shooting lasted.

I love the fragility of these pictures printed by Adolph Engel in Berlin, in 1905. Everything is vanishing: colors, contrast, outlines, beauty, youth... It is such a warm day, such a warm terrace, exposed to the sun at noon, in front of the sea, in front of the Etna mountain... Boys let their veils fall down, the smell of flowers  scattered on the ground is as obsessing as the cicadas song. Etna disappears in a sunny frog... Kids of Taormina imagined to be sung by Theocritus in a Idyll or by Vergil in a Bucolic. Perhaps their sepia silhouettes are nothing but a dream, inspired by Strato's epigrams and fixed forever on a photographic plate that caught, by chance, on a desert terrace, in the full light at noon, shades of a forgotten world...

A postcard from Nino



Nino mio,

Merci mille fois pour ta carte du 20 septembre. Amicizia, Freundschaft, Friendship, Philia, Amitié... Je connais suffisamment Wilhelm pour savoir lire entre les lignes, entre les mots, entre les visages. Quel art élégant d'évoquer l'amitié qui est la nôtre, la Freundschaft que célèbre un beau magazine allemand... Cette amitié entre hommes, quel moyen plus subtil de l'évoquer sans la nommer qu'en célébrant l'amitié entre deux femmes, dont l'une me semble-t-il, est un berger de Taormina travesti... Je crois l'avoir rencontré sans perruque ni robe, mais avec le même regard et la même beauté...

Ah, mon Nino, comme il est bien que des cartes postales fassent connaître l'art de notre Wilhelm, aux yeux innocents comme aux yeux avertis...

J'aime ta signature, Nino. C'est comme si tes deux bras m'entouraient, m'embrassaient...

Comment oublier, mon Nino... Comment t'oublier ?

Jacques

(Von Gloeden Archive, Letter from Jacques to Nino, 1919, call number: 1919/10/06)





Nino mio,

Thousand thanks for your postcard sent on September 20. Amicizia, Freundschaft, Friendship, Philia, Amitié... I am familiar enough with Wilhelm to be able to read between the lines, between the words, between the faces. He has such an elegant way to celebrate the kind of friendship that unites us, this Freundschaft that is the title and the main topic of a German magazine... Friendship between men... Is there a more subtle way to evoke it without naming it than through such a celebration of friendship between two women...  One of them, however, looks like a disguised shepherd from Taormina... I am pretty sure I met him without his dress and his wig.... I recognize his gaze and his beauty...

Ah, my dear Nino, it is so nice such postcards advertise the photographic art of our Whilhelm, for innocent eyes as well as for aware ones...

I love the drawing of your signature, Nino. I feel like hugged and embraced by your two arms...

How could I ever forget, my Nino... How could I forget you ?

Jacques

(Von Gloeden Archive, Letter from Jacques to Nino, 1919, call number: 1919/10/06)

Sunday, January 10, 2010

Taormina, 1905


Je suis fasciné par les correspondances taorminiennes du début du XXe siècle, traces d'un séjour et d'une étape dans le Grand Tour que tant d'Européens fortunés accomplissaient sur les rivages méditerranéens. Cette image évanescente et sépia est à mes yeux empreinte d'une poésie mélancolique, comme l'écriture qui l'encadre et raconte un moment de vie qui n'est plus depuis longtemps...

J'aime le tracé de ces écritures d'inconnus, j'aime croiser les regards qui ont choisi ces images, j'aime imaginer leurs promenades dans les jardins de Taormina, leurs rêveries devant la mer ou face à l'Etna, leur vie quotidienne dans les grands hôtels du village, leurs rencontres amoureuses peut-être, leurs visites à von Gloeden, qui leur permettait de feuilleter ses albums arcadiens.

On parlait allemand ou anglais, français ou russe, on citait Virgile et Platon, Théocrite et Catulle, le théâtre grec bruissait de tragédies et de comédies oubliées, le village entier était un théâtre des désirs: tandis que les uns, pêcheurs et bergers, vivaient au rythme hésiodique des travaux et des jours, les autres, les étrangers, tentaient d'attraper des ombres et des mirages, de vivre leurs rêves et leurs fantasmes dans des paysages où ils prenaient corps, visage et regard...



I am fascinated by these letters from Taormina, at the beginning of XXth century, traces of a stay, of a step in the Grand Tour of so many wealthy Europeans, travelling around Mediterranean shores. This vanishing and sepia photograph expresses for my eyes such a melancolic poetry, like the handwritten text surrounding it, telling the story of a moment in a life that is no more, since so long..

I love the drawing of this text written by an unknown hand, I love to meet the gaze that chose this postcard among many others, I love to imagine the walks of these tourists in Taormina's gardens, their dreams while looking at the sea or at the Mount Etna, their daily life in the village's Grand Hotels, their love dates, perhaps, and, for sure, their visits to von Gloeden who allowed them to browse his albums of Arcadian photographs.





In Taormina, at that time, German and English, French and Russian were currently spoken, Vergil, Plato, Theocritus and Catullus were quoted, the Greek Theater was still resonating with the words of forgotten tragedies and comedies, the whole village was like a theater of desires: there were fishermen and shepherds living at the rythm of works and days, like in Hesiod's poetry, while others, the foreigners, were desperately trying to catch ghosts and mirages, to live their dreams and their fantasms in these landscapes that offered so many bodies, faces and eyes to love...

Essebac sur le Tombeau des Stuarts (Rome, Basilique St. Pierre)


"Au-dessous de ces bustes, écrit Stendhal, (...), un grand bas-relief représente la porte d'un tombeau, et aux deux côtés deux anges dont, en vérité, il m'est impossible de décrire la beauté. Vis-à-vis est un banc de bois sur lequel en 1817, et en 1828, j'ai passé les heures les plus douces de mon séjour à Rome. — C'est surtout à l'approche de la nuit que la beauté de ces anges paraît céleste. — En arrivant à Rome, c'est auprès du tombeau des Stuarts qu'il faut venir essayer si l'on tient du hasard un coeur fait pour sentir la sculpture. La beauté tendre et naïve de ces jeunes habitants du ciel apparaît au voyageur longtemps avant qu'il puisse comprendre celle de l'Apollon du Belvédère et la sublimité des marbres d'Elgin."

Je ne sais si l'auteur du Rouge et Noir a fait école, mais pour ma part, j'ai tenu, assis sur le même banc de bois où s'écoulèrent ses heures de rêverie, à venir dans le silence doré du matin pour jouir aussi de la fragile délicatesse des jeunes hommes de marbre blanc. J'ignore l'effet que produisent sur eux les clartés agonisantes et mélancoliques du crépuscule, quand le soleil sanglant inonde la gloire de bronze de la Chaire Apostolique; mais j'ai vu que les fraîches lueurs matutinales osent à peine s'approcher de leur nudité et que, triomphantes partout ailleurs dans la basilique, elles passent auprès d'eux roses et craintives comme des amoureuses; leurs impalpables poussières se dissolvent et font, à distance, à leurs amants si jolis, une enveloppante auréole de lumières sous les irradiations des vitraux...

Hélas ! Tartufe a passé par là; je ne veux pas dire le clergé à l'esprit éclairé et libéral qui permit à Canova d'ajouter aux richesses artistiques de Saint-Pierre la jeune splendeur de ces formes humaines, mais quelque faux dévot dont l'oeil oblique dans la face huileuse dérobe sa prunelle devant le "sein qu'il ne saurait voir". Tartufe, dis-je, n'a pu contempler ces corps entièrement nus; et des voiles de bronze, merveilleusement ajustés il est vrai, et confondus avec l'éclatante blancheur du marbre, habillent cette nudité très belle, très naïve et très pure, que ne redoutaient ni le ciseau d'un Phidias, ni l'insondable génie d'un Praxitèle ni, plus près de nous, la puissance d'un Rude ou d'un Canova, continuateurs glorieux des grâces infinies de l'antique Hellade...


Les rigoristes qui firent ceci eussent condamné Phryné, en cachant leur face d'iconoclaste devant l'adorable frisson de son corps de femme. Sophocle à quinze ans, — au milieu des adolescents de son âge, rejetant avec eux ses vêtements pour chanter dans la gloire de sa blonde nudité le Paean, après la victoire de Salamine, parce que les Grecs ne trouvaient à offrir aux dieux dans les ivresses d'un triomphe et dans l'ardeur d'un enthousiasme sacré que cet hommage immédiat de la beauté toute nue, — eût été puni de je ne sais quelle peine, au nom de la morale de ces gens dont les divinités s'appellent hypocrisie et laideur !


Moi je les regarde bien en face, des épaules jusqu'aux pieds finement rattachés aux chevilles, et je les trouve beaux tous ces marbres, sous la palpitation de l'immobile vie qui fait noblement onduler les torses, se ployer les reins et se tendre les muscles dans le geste superbe des bras, dans la hardiesse vigoureuse des cuisses, dans l'élégant élancement des jambes, dans l'idéale régularité des lignes, la noblesse des poses et du maintien;

je les trouve beaux et je les goûte jusque dans les moindres fossettes qu'a voulu sur leur corps l'exact et impeccable ciseau du sculpteur... J'ai rêvé souvent de me faire un musée minuscule de leurs réductions pour vivre toujours environné de leur aristocratique beauté, pour réjouir mes yeux et les dédommager du spectacle laid de l'habituelle existence..."

Achille Essebac, Partenza... vers la beauté !, 3e éd., 1903, p. 212-215.


Saturday, January 9, 2010

Désir / Desire




"Cher Baron von Gloeden,

Je vous ai acheté cette photographie en mars 1890, lors de mon bref séjour à Taormina. Un ami m'avait recommandé de vous rendre visite, je ne l'ai pas regretté... Vous m'avez fort courtoisement reçu et donné à feuilleter le catalogue de vos oeuvres complètes, du moins à cette date.

J'ai feuilleté lentement, comme au rythme d'une promenade dans des paysages de rêve... Un regard, une silhouette, des courbes, une pose, des nudités solaires, des drapés uraniens, les bergers de Virgile, les faunes d'Arcadie...

J'ai choisi d'acheter la photographie de ce beau jeune homme, noble et fier, qui laisse entrevoir une âme plus qu'il ne dévoile son corps.

Quelle beauté, quelle noblesse dans le port de la tête, dans le regard... Ce beau profil, ce buste sur lequel glisse un voile qui ne dissimule rien...

J'aurais voulu naître sur Uranus ou en Arcadie, vos photographies me permettent à Berlin d'imaginer des vies que je n'ai pas vécues...

Je donnerai ma bibliothèque pour... pour croiser ce regard et effleurer ces lèvres...

Je ne peux douter que le XXe siècle, dans quelques années, saura comprendre mes rêveries...

Respectueusement vôtre,

Ulrich v. B."

Lettre d'Ulrich v. B. à W. von Gloeden, 1er Juin 1890, Archive von Gloeden, call number 1890/06/1.


Dear Baron von Gloeden,

I bought this photograph during my short stay in Taormina in March 1890. A friend of mine suggested I should visit you, I did not regret it.... You welcomed me very courteously and you allowed me to browse the catalogue of all your available photographs, at least at this time.

I browsed your catalogue slowly, at the same rythm I would walk through some dreamt landscapes... A gaze, a silhouette, curves or a pose, solar nudities or uranian draperies, I found there Vergil's sheperds as well as Fauns from Arcadia...

Finally I bought the photograph of this beautiful young man, noble and proud, who reveals his soul more than he unveils his body.

What a beauty, what a nobility in his head position, in his eyes... Such a beautiful profile, such a torsoe chalf covered with a veil that hides nothing...



I would love so much to be born on Uranus or in Arcadia... Your photographs let me imagine, in Berlin, the so many lives I did not live...

I would give away my whole library just for... for crossing such a gaze and touch lightly, oh so lightly, such lips...

I cannot doubt, I even hope that during the XXth century, in a few years, my dreams will be fully understood...

With my best regards

Ulrich v. B."

Letter from Ulrich v. B. to W. von Gloeden, June 1st 1890, Archive von Gloeden, call number 1890/06/01.

Caresses (Fersen)



"J'aime errer dans les bois lorsque la lune est douce,
Et pose au ciel coquet son bijou argenté,
J'aime errer dans les bois pleins de mauves clartés
Et de fleurs endormies sur le berceau des mousses.

Parfois le vent s'élève et comme un chant d'adieu
Où la tristesse aux joies se mêle et se rappelle,
Apporte au voyageur avec des frissons d'ailes
La beauté contenue dans l'infini ciel bleu.

Alors contre une haie aux verdoyants pilastres
Je m'étends pour rêver des bonheurs enfuis,
Et les yeux égarés et les sens éblouis
Je cherche à distinguer tes yeux parmi les astres."

Baron Jacques d'Adelswärd-Fersen, Ebauches et débauches,
Paris, Librairies Léon Vanier, Editeur, 1901, p. 65.

Friday, January 8, 2010

Sur un portrait / About a portrait


Cher Baron von Gloeden,

J'ai trouvé par le plus grand des hasards ce magnifique portrait, qui fut l'un des joyaux de la collection de Nino Malambri à Taormina...

Je sais que là où vous êtes, vous avez une connexion internet haut débit, et que rien ne vous échappe de ce qui se dit sur vous, sur la grande toile. Je ne doute pas que l'homme de goût et de culture que vous fûtes connaisse et le français et l'anglais, et c'est dans ces idiomes que je voudrais vous écrire aujourd'hui, plutôt qu'en allemand ou en italien.

Votre photographie me touche, m'émeut profondément. Vous avez saisi un moment de grâce, un temps en suspension, une profondeur humaine qui ouvre d'innombrables horizons. La pose, le visage, le regard de ce jeune homme me bouleversent. Vous l'avez photographié vers 1900 à Taormina, je ne sais où précisément, devant votre maison ou dans le cloître du San Domenico ?

Je ne sais ce que vous avez dit à ce garçon, je ne sais les rêves ou les souvenirs qui traversent son âme au moment de la prise de vue. Son regard s'évade hors-champ, avec une infinie mélancolie qui donne à ce jeune visage trop de gravité pour son âge. Que regarde-t-il ? Que voit-il ? Il est trop jeune pour se perdre dans un tel désespoir métaphysique...

Il est des photographies qui dissimulent plus qu'elles ne montrent. Celle-ci est une question sans réponse, une énigme douloureuse...

Tout me touche et me parle dans ce moment d'intimité d'un jeune homme avec lui-même, avec l'être et le néant, la tête appuyée sur une main, sa chemise blanche entrouverte...

J'aimerais tant... lui parler... le consoler peut-être, le faire sourire ou même rire, dissiper le nuage de tristesse qui assombrit un si beau visage... J'aimerais tant lui dire que la vie, la jeunesse, la beauté, c'est un don des dieux, même à Taormina, même en 1900.

J'aimerais lui dire que plus d'un siècle après la prise de vue, cette photographie me fait rêver, me hante, m'inspire et m'interroge...

Je ressens sans doute ce qui vous a conduit à figer cet instant irréel sur votre plaque photographique...

Etrange sentiment d'empathie, de désir, d'amour pour une empreinte d'ombre et de lumière, alors que la poussière de ce beau jeune homme est aujourd'hui mêlée à la terre de Taormina...

Votre affectionné

Butterfly



Dear Baron von Gloeden,

I was lucky enough to get a copy of this magnificent portrait, a jewel in the collection of Nino Malambri in Taormina.

I am aware that in your current location, you have a broadband internet access and that you can read anything written about you on our World Wide Web. I am also convinced that a man so well mannered and so well educated as you are is perfectly fluent in French and in English, and I will use these languages in my letter, instead of German or Italian.

This photograph moves me, almost to tears. You caught such a graceful moment, a suspended time, such a human depth expanding towards so many horizons. I feel so overthrown by the pose, the face, the gaze of this young man. You shot this photograph probably in 1900, I don't recognize the precise location... In front of your house or in the San Domenico cloister ?



I don't know what you said to this boy, I don't know what dreams or memories are crossing his soul when you shot the photograph. His gaze is flying away, outside the frame of the photograph... Such an infinite melancholy paints too much seriousness on such a young face... What does he look at ? He is too young to to loose himself in such a deep, a metaphysical despair...

Some photographs hide more than they show. This photograph is a question without answer, a painful riddle...

Everything moves me in this intimate face-à-face of a young man with himself, with what being and nothingness are and mean. His head is leaning on his hand, his white shirt is half open and reveals his chest...

I would love so much... to talk to him.. to comfort him maybe... and make him smile or even laugh... I would love to disperse the clouds of sadness that cause so much shade on such a beautiful face. I would love so much to tell him that life, youth and beauty are a gift from the gods, even in Taormina, even in 1900...



I would love to tell him that more than a century after this photograph was shot, it still makes me dream, it haunts me, it inspires me and raises so many questions...

I guess I almost feel why you chose to shot the photograph at this precise moment...

I feel such a strange empathy, such a desire and a love for a print of shade and light, even if this beautiful young man is nothing but dust today, dust blended with the clay of Taormina...

Yours, as always

Butterfly

Wednesday, January 6, 2010

Ganymède / Ganymedes



"Cher Wilhelm,

De passage à Vienne, j'ai pu admirer ce Ganymède peint par Corregio, et il m'a rappelé ce beau mythe grec où, malgré leur félicité, leur ambroisie, leur immortalité, les dieux de l'Olympe ont besoin d'aimer, et souvent d'aimer des humains. Zeus, dit-on, ne fut pas indifférent à la beauté d'un garçon et il prit l'apparence d'un aigle pour le ravir à notre monde et le porter dans le sien, incognito, si l'on peut dire, du moins sans éveiller la jalousie d'Héra. Ne pleurons pas Ganymède, il devint immortel à son tour, et garda même une éternelle jeunesse, il fut l'échanson des dieux, leur servant le nectar lors de leurs bienheureux banquets, et il resta pour toujours l'aimé de Zeus. Il inspire encore peintres et sculpteurs...

Et les photographes, cher Wilhelm ? Comment un artiste comme vous peut-il ignorer Ganymède ? Je voudrais tant avoir votre vision d'un Ganymède sicilien...

Mille affections, comme toujours

Ludwig"






"Dear Wilhelm,

During my stay in Vienna, I admired this Ganymedes, painted by Corregio. This painting reminded me a fascinating Greek myth: despite their felicity, their ambrosia and their immortality, Olympian gods needed to fall in love, and often they felt in love with humans. It is said that Zeus was not insensitive in front of the beauty of a boy and he changed himself into an eagle, in order to carry him away from our world into the world of gods, without being recognized, at least, without exciting the jealousy of his wife, Hera. However, we should not mourn for Ganymedes... He became an immortal too and his youth lasted forever... He was the wine waiter of the gods during their banquets, and he was loved by Zeus for ever... Ganymedes still inspires painters and sculptors...

But does Ganymedes inspire photographers, dear Wilhelm ? How such an artist as you are could ignore Ganymedes ? I would love so much to have your vision of a Sicilian Ganymedes...

Lot of kisses, as always,

Ludwig"





"Cher Ludwig,

Voilà votre Ganymède !

Je n'ai pas trouvé d'aigle, mais Timeo, mon joli dindon, fera l'affaire. Timeo, mon tacchino taquin, amore mio...

Regardez comme il courtise mon Giovannino, il lui dit des mots d'amour, il roucoule comme un pigeon, quel tête-à-tête amoureux !

Peu importe l'oiseau, pourvu qu'il ait un beau plumage !

Tacchino, tacchino, mon beau dindon, prego ! N'enlève pas tout de suite mon Giovannino... Laisse sa beauté s'épanouir parmi nous... Zeus peut attendre... Il a l'éternité pour lui !

Wilhelm von Gloeden"





"Dear Ludwig,

Here is your Ganymedes !

No eagle was available during the photographic session, but Timeo, my cute turkey, did the job ! Timeo, my teasing turkey, amore mio...

Do you see how he pays court to my Giovannino, how he tells him loving words ? He is cooing like a pigeon, what a private interview between two lovers !!

What ever the bird is, only the plumage matters !





Turkey, my cute tukey, please, please... Don't carry off my Giovannino today ! Please allow his beauty to blossom among us... Zeus can wait... He can love for ever....!

Wilhelm von Gloeden"

Letter from Ludwig to W. von Gloeden, Letter from W. von Gloeden to Ludwig, Archive von Gloeden, call number, 1900/06/01 and 1900/25/01