Friday, January 8, 2010

Sur un portrait / About a portrait


Cher Baron von Gloeden,

J'ai trouvé par le plus grand des hasards ce magnifique portrait, qui fut l'un des joyaux de la collection de Nino Malambri à Taormina...

Je sais que là où vous êtes, vous avez une connexion internet haut débit, et que rien ne vous échappe de ce qui se dit sur vous, sur la grande toile. Je ne doute pas que l'homme de goût et de culture que vous fûtes connaisse et le français et l'anglais, et c'est dans ces idiomes que je voudrais vous écrire aujourd'hui, plutôt qu'en allemand ou en italien.

Votre photographie me touche, m'émeut profondément. Vous avez saisi un moment de grâce, un temps en suspension, une profondeur humaine qui ouvre d'innombrables horizons. La pose, le visage, le regard de ce jeune homme me bouleversent. Vous l'avez photographié vers 1900 à Taormina, je ne sais où précisément, devant votre maison ou dans le cloître du San Domenico ?

Je ne sais ce que vous avez dit à ce garçon, je ne sais les rêves ou les souvenirs qui traversent son âme au moment de la prise de vue. Son regard s'évade hors-champ, avec une infinie mélancolie qui donne à ce jeune visage trop de gravité pour son âge. Que regarde-t-il ? Que voit-il ? Il est trop jeune pour se perdre dans un tel désespoir métaphysique...

Il est des photographies qui dissimulent plus qu'elles ne montrent. Celle-ci est une question sans réponse, une énigme douloureuse...

Tout me touche et me parle dans ce moment d'intimité d'un jeune homme avec lui-même, avec l'être et le néant, la tête appuyée sur une main, sa chemise blanche entrouverte...

J'aimerais tant... lui parler... le consoler peut-être, le faire sourire ou même rire, dissiper le nuage de tristesse qui assombrit un si beau visage... J'aimerais tant lui dire que la vie, la jeunesse, la beauté, c'est un don des dieux, même à Taormina, même en 1900.

J'aimerais lui dire que plus d'un siècle après la prise de vue, cette photographie me fait rêver, me hante, m'inspire et m'interroge...

Je ressens sans doute ce qui vous a conduit à figer cet instant irréel sur votre plaque photographique...

Etrange sentiment d'empathie, de désir, d'amour pour une empreinte d'ombre et de lumière, alors que la poussière de ce beau jeune homme est aujourd'hui mêlée à la terre de Taormina...

Votre affectionné

Butterfly



Dear Baron von Gloeden,

I was lucky enough to get a copy of this magnificent portrait, a jewel in the collection of Nino Malambri in Taormina.

I am aware that in your current location, you have a broadband internet access and that you can read anything written about you on our World Wide Web. I am also convinced that a man so well mannered and so well educated as you are is perfectly fluent in French and in English, and I will use these languages in my letter, instead of German or Italian.

This photograph moves me, almost to tears. You caught such a graceful moment, a suspended time, such a human depth expanding towards so many horizons. I feel so overthrown by the pose, the face, the gaze of this young man. You shot this photograph probably in 1900, I don't recognize the precise location... In front of your house or in the San Domenico cloister ?



I don't know what you said to this boy, I don't know what dreams or memories are crossing his soul when you shot the photograph. His gaze is flying away, outside the frame of the photograph... Such an infinite melancholy paints too much seriousness on such a young face... What does he look at ? He is too young to to loose himself in such a deep, a metaphysical despair...

Some photographs hide more than they show. This photograph is a question without answer, a painful riddle...

Everything moves me in this intimate face-à-face of a young man with himself, with what being and nothingness are and mean. His head is leaning on his hand, his white shirt is half open and reveals his chest...

I would love so much... to talk to him.. to comfort him maybe... and make him smile or even laugh... I would love to disperse the clouds of sadness that cause so much shade on such a beautiful face. I would love so much to tell him that life, youth and beauty are a gift from the gods, even in Taormina, even in 1900...



I would love to tell him that more than a century after this photograph was shot, it still makes me dream, it haunts me, it inspires me and raises so many questions...

I guess I almost feel why you chose to shot the photograph at this precise moment...

I feel such a strange empathy, such a desire and a love for a print of shade and light, even if this beautiful young man is nothing but dust today, dust blended with the clay of Taormina...

Yours, as always

Butterfly

1 comment:

Tiago said...

Exceptional beauty.
Thank you very much for the picture and the letter.