Tuesday, February 23, 2010

Rêve d'horizon / Horizon dream (von Gloeden)


"J'aime Taormina pour les multiples paysages qu'elle offre au regard. J'aime voir de haut, voir de loin, voir le paysage s'évanouir dans le lointain, le ciel rencontrer la mer, la terre fracturer la mer des mille anfractuosités de son rivage.

J'aime rêver en regardant la ligne d'horizon, si proche, si lointaine.

Peut-on désirer autre chose qu'un horizon à atteindre, où se perdre, où se fondre ?



J'aime la manière dont la lumière caresse les roches et les plantes et redessine, tout au long de la journée, les contours des choses et du monde.

Je pourrai rester assis des heures à rêver sur le proche et le lointain, à écouter le silence, à voir l'invisible écoulement du temps, à suivre la course du soleil enjamber le corps de la Sicile pour aller plonger dans le grand Océan du couchant aux reflets rouges."

Wilhelm von Gloeden, Personal Diary, 15 March 1892 (Von Gloeden Archive, call number 1892/03/15/08)

"I love Taormina for the so many landscapes it offers to the viewer. I love to see from above, to see from a remote standpoint, I love to see the landscape vanishing so far away, and the sky meeting the sea, and earth fracturing the Mediterranean sea with the thousand curves and promontories of its shores.

I love to dream while looking at the horizon line, so close, so far away.

Is there anything else to desire than a horizon to reach, a horizon to loose oneself, a horizon to disappear in ?

I love the way light is caressing rocks and plants and is drawing again and again, during all the day, the oulines of things and of the world.

I could sit for hours and dream about what is close, what is far away, and listen to the silence, look at the invisible stream of time flying away, and follow the journey of sun, striding over Sicily's body in order to dive into the vast Ocean of the West, with its red reflections."

Wilhelm von Gloeden, Journal intime, 15 Mars 1892 (Von Gloeden Archive, call number 1892/03/15/08).

Correspondance sur un portrait

(Collection privée)

"Cher Wilhelm von Gloeden,

Durant mon Grand Tour, en 1890, j'ai essayé de réunir autant de souvenirs que possible des lieux que j'ai visités, en Grèce et en Italie. Naturellement, j'ai acheté les photographies habituelles de Pompéi et du Vésuve, de Rome et de Florence, de Naples et de Venise. J'ai aussi trouvé dans une boutique à Rome des photographies uniques qui ont immédiatement attiré mon attention: des portraits de jeunes gens, des silhouettes d'éphèbes à demi-dénudés dans des paysages arcadiens ou dans des architectures et sur des terrasses attiques... J'ai acheté quelques unes de ces photographies, et j'ai trouvé votre cachet sur le revers: "Wilhelm von Gloeden, Taormina, deponiert".

J'apprécie particulièrement les portraits: vous avez un art unique pour capter la beauté d'un jeune homme, pour inviter à imaginer sa vie et ses sentiments à travers son visage.

Je suis intrigué par un portrait en particulier, un jeune homme avec une chemise blanche et un visage très brun, aux cheveux noirs et bouclés et au regard tout aussi sombre...

Je suis fasciné par son visage, par ce qu'il exprime, par sa beauté sauvage.... Il est si romantique... si rebelle...

Oui, vous l'avez deviné... Je suis tombé amoureux... de la photographie ? du jeune homme ? Peut-être les deux... S'il vous plait, cher Wilhelm, ne lui en dites rien... Mais s'il vous plait aussi, dites moi en plus sur lui: qui est-il ?

Mille mercis

Mike Y."

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"Cher Mr. Y.,

Merci pour votre adorable lettre... Je suis heureux que vous ayez trouvé certains de mes tirages photographiques à Rome. Vous avez bon goût, sans aucun doute... Et j'espère que mes photographies vous feront rêver longtemps, chaque fois que vous les regarderez, dans l'album de votre Grand Tour...

La photographie que vous évoquez représente l'un de mes modèles favoris, bien qu'il ne figure pas souvent sur mes clichés. 

Il est l'aîné d'une riche famille de paysans de Taormina et il a à présent la responsabilité des troupeaux de son père. Moutons et chèvres, il les conduit à travers les montagnes de Taormina, loin du village. Il connaît tous les sentiers, toutes les sources dans les montagnes. Il connaît aussi toutes les fleurs de la nature sauvage en Sicile, il sait les chansons et les mots qui peuvent calmer son troupeau...

C'est un garçon de Taormina, plein d'orgueil et de fierté, son visage, son regard, sa noblesse naturelle m'ont frappé moi aussi...

Prendre une photographie d'un garçon de Taormina dénudé est facile, faire un portrait qui montre une âme est plus difficile. Je suis heureux que vous compreniez ce que je veux dire...

Bien cordialement

Wilhelm von Gloeden"

Von Gloeden Archive, Letter from Mike Y. to W. von Gloeden, 05/01/1891, call number 1891/05/01/01; Letter from W. von Gloeden to Mike Y., 20/01/1891, call number 1891/20/01/06.

Monday, February 22, 2010

Two letters about a portrait

(Private collection)

"Dear Wilhelm von Gloeden,

During my Grand Tour, in 1890, I tried to collect as many memories as possible of the places I visited, in Greece and Italy. Of course, I bought the usual photographs of Pompei and Vesuvius, of Rome and Florence, of Naples and Venice. But I found in a souvenirs shop in Rome some unique photographs that immediately caught my eye: portraits of young men, silhouettes of half-nude ephebes in Arcadian landscapes or in Attic architectures and terraces... I bought a few of these photographs, and I found your stamp on the reverse side: "Wilhelm von Gloeden, Taormina, deponiert". 

I enjoy particularly the portraits: you have a unique skill to catch the beauty of a young man, to let the viewer imagine his life and his feelings through his face.

I feel so puzzled by a particular portrait, a young man with a white shirt and a dark face, with curly black hair and such dark eyes... 

I am fascinated by his face, by what it expresses, by its wild beauty... He is so... romantic... so rebel...

Well, you are right... I felt in love with him... Please, dear Wilhelm, don't tell him... But please, tell me more about him... Who is he ? 

Thousand thanks

Mike Y."

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"Dear Mr. Y.,

Thank you for your lovely letter... I am happy you found some of my photographic prints in Rome. You have good taste, indeed... and I hope my photographs will make you dream for a long time, each time you will look at them, in your Grand Tour album... 

The photograph you alludes to is a portrait of one of my favorite models, although I did not shot many photographs of him. 

He is the elder son in an old family of Taormina's farmers and he is now in charge with the droves of his father. Sheeps or goats, he leads them through the Taormina's mountains, far away from the village. He knows all the paths, all the natural springs in the mountains, he knows all the medicinal herbs, all the flowers in the Sicilian wilderness, he knows the songs and the words to calm down his drove...

He is a fierce and a proud boy of Taormina, his face, his gaze, his natural nobility struck me too... 

Shooting a photograph of a Taormina's nude lad is easy, shooting a portrait where a soul is on display is far more difficult. I am happy you understand what I mean...

With my best regards

Wilhelm von Gloeden"

Von Gloeden Archive, Letter from Mike Y.  to W. von Gloeden, 05/01/1891, call number 1891/05/01/01; Letter from W. von Gloeden to Mike Y., 20/01/1891, call number 1891/20/01/06.

Sunday, February 21, 2010

Poems without words


Le portrait du Louvre (Jacques Fersen)

"O toi, dont la fraîcheur nous entr'ouvre
Tout un nouveau pays d'amour,
Portrait de Raphaël au Louvre,
Lèvres de page, yeux de velours,
Mon rêve va vers toi, toujours,
C'est toujours toi que je découvre,
O Raphaël !

Je me figure qu'à Florence,
Où dit-on tu fis ce portrait, 
Les belles dames en souffrance
Devaient te trouver fort bien fait....
Mais moi, ignore ma démence,
O Raphaël !

A moins que te changeant en page,
En mince page au rire clair, 
Tu n'animes ta blonde image
D'un frisson courant sur ta chair,
En me donnant ta lèvre en gage,
O Raphaël !"

Jacques Adeswärd-Fersen, L'Hymnaire d'Adonis
Paris, Librairie Léon Vanier, 1902, p. 40-41.

Saturday, February 20, 2010

Le livre d'or de von Gloeden / von Gloeden's guest book


Ce cahier garde la trace de tant de visites à Wilhelm von Gloeden... Ces cartes de visite invitent à imaginer les trajectoires de vie et de désir qui ont pu conduire ces hommes (et au moins une femme !) ) à franchir le seuil de la villa-studio de la Piazza San Domenico à Taormina. Certains visiteurs sont peut-être venus de fort loin (Rochester, New York, USA) pour s'entretenir avec von Gloeden de sujets purement techniques, concernant l'art de la photographie, l'art d'impressionner correctement les négatifs et de reproduire des tirages séries (C.E. Kenneth Mees, directeur de la recherche et du développement chez Eastman Kodak Company). D'autres visiteurs n'avaient pas cet alibi technique et ont laissé une trace de leur passage après avoir acheté des photographies de la jeunesse de Taormina, plus ou moins dévêtue.

Ce qui me fascine ici est d'imaginer les multiples histoires individuelles qui se dissimulent derrière ces cartes de visite. Que sont venus chercher ces visiteurs ? Qu'ont-ils choisi dans le catalogue des photographies de von Gloeden ? Avec quelles tirages photographiques sont-ils repartis ? Les paysages de Taormina ou des scènes de genre ? Des garçons drapés ou nus ? Des portraits ou des scènes de groupe ?

Quel était leur regard, quel était leur désir ?

This guest book is the archive of so many visits to von Gloeden's place. These visiting cards invite us to imagine the lives and the desires of men (and at least of a woman) who entered the villa-studio of the Baron, at Piazza San Domenico, in Taormina. Some of these visitors came from remote countries (for example from Rochester, New York, USA) in order to discuss with von Gloeden technical matters related with the art of photography, the way to print a scene on a negative plate, the way to produce a series of positive prints (C.E. Kennethe Mees, director of research and development at Eastman Kodak Company). Many other visitors had not such a technical reason to visit von Gloeden. They left as to say a footprint of their stay in Taormina, of their visit to von Gloeden, when they bought photographs of Taormina's young men, nude or draped in a tunic.

I am so fascinated with the so many personal stories linked with these visiting cards. What were these visitors looking for ? What did they choose in von Gloeden's photographs catalogue ? What kind of photographs did they buy ? Did they choose Taormina's landscapes or scenes de genre ? Did they choose naked boys or boys with loin clothes or tunics ? Portraits or group scenes ?

How their gaze, their desire were tuned ?

Anges de rêve, Princes de nacre (Jacques Fersen)



"Anges rêveurs de Carpaccio,
Lointains et doux joueurs de viole
Dont le regard fervent s'envole
Vers où s'envolent les oiseaux,

Pages aux longues boucles blondes,
Le corps serré dans les damas,
Pages câlins de Mantegna,
Qui partent conquérir le monde,

Enfants Jésus de Raphaël
Dont les doigts fins aux feux des cierges,
Caressent tendrement la Vierge
Ou tiennent de très vieux missels, 

Gestes légers et lignes frêles,
Sexe inconnu, sauf dans le ciel,
Où tous vivent près du soleil,
Bien moins encor la fleur que l'aile,

O clair tryptique d'Adonis !"

Jacques Adeswärd-Fersen, L'Hymnaire d'Adonis,
Paris, Librairie Léon Vanier, 1902, p. 37-38.


Friday, February 19, 2010

Almost impossible to translate...




Achille Essebac's prose is so French and so... rooted in the early XXth century literary style... It is difficult, almost impossible to translate its writings in English... His style is so lyrical when he describes the beauty of ephebes or of statues of ephebes... There is such a deep feeling, such a vision, so much cultural references as soon as young men bodies are involved...

I love Essebac's style for its sensuality, for its vision, for the gaze and the desire that inspire it.

This French writer has a unique way to sing the beauty of cute young men, the living ones he met during his journey through Italy, the marble or bronze ephebes he admired so much in Italian museums...

Achille Essebac was brave enough to sing a desire, a vision, an aesthetic sensitivity that could be just shocking for readers unable to understand them. His prose is also a testimony about the way Classical Antiquity could be used in order to provide gay love with cultural roots.

Achille Essebac style is so sensual... Few writers, whatever their language is, found such an obvious and a sensual way to describe the young male beauty...

Achille Essebac - Concours de beauté à Elis



"La capitale de l'Elide, Elis, chaque année, réunissait dans un concours les plus beaux parmi les jeunes hommes que contenaient ses gymnases. Les formes parfaites, la distinction et la grâce étaient les conditions indispensables exigées des candidats; ceux-ci désignaient celui d'entre eux qui l'emportait encore sur eux-mêmes par la perfection totale de son corps.

Le vainqueur superbe était conduit devant le peuple dont les vivats affolés saluaient sa triomphante nudité. L'ami qu'il s'était donné couronnait son front de myrtes et de bandelettes et nouait à ses pieds des sandales de pourpre aux ornements de bronze ciselé. Cette unique parure laissant resplendir l'entière pureté de sa chair encore vierge, il allait, sous des flots d'azur et de soleil, dans la gloire d'une marche triomphale, porté jusque sur les places publiques, dans la pénombre fraîche des portiques, sur le parvis des temples.



A la ville orgueilleuse l'enfant dévoilait la splendeur fière et ravie de sa chair offerte aux regards depuis les brodequins pourprés à ses talons jusqu'aux feuillages pâmés dans les boucles brunes de sa chevelure, avec seulement, ombres très douces dans la jolie clarté du visage, l'éclatante obscurité des grands yeux noirs, les pétales rouges des lèvres entr'ouvertes et, avivant la blancheur de sa peau, sur son corps tiède et rose de contentement juvénile, dans les courbes impeccables et le frisson des hanches, l'affirmation soyeuse de sa jeune puberté... Sur lui, la musique lente des flûtes, dans le bruit des cymbales, passait acharnée et caressante. La fixité avide des yeux, les murmures de la foule frémissante, les baisers des femmes l'enveloppaient au passage dans le cortège étincelant et nu de ses jeunes camarades. Les filles énamourées l'épiaient du haut des terrasses et jetaient vers lui, comme vers une divinité, les roses effeuillées, le voluptueux balancement de leurs bras, l'encens de leur haleine, la clameur de leur bouche criant la gloire de la virile beauté dont enfin se délectaient leurs yeux pâmés de désirs...

Et nous allons, nous, dans les musées, presque indifférents, sans savoir ce qu'a coûté la boucle de cheveux mêlée, sur ces jeunes têtes, aux pampres, aux feuillages et aux fleurs ! sans nous douter des magnificences et des voluptés endormies à jamais dans les marbres aux teintes éburnéennes, dans les bronzes couleur d'émeraudes et de saphirs, les uns épanouis comme des fleurs blêmes aux pétales exsangues, les autres comme des fleurs altérées encore de caresses et de louanges dans une extraordinaire nudité de corolles bleues... "

Achille Essebac, Partenza... vers la beauté !, 3e édition, 1903, p. 154-156

Thursday, February 18, 2010

Dream, Desire


"Dear Wilhelm,

Why am I so sensitive to your photographic art ? Actually, all my dreams are just relying on prints of your phortographs, either albuminate or argentic, well, just on paper sheets...

Why your gaze, your aesthetic taste, the instructions you gave to your models are so relevant, so obvious for me ?

This is just a matter of desire, as you know. And desire is as a musical harmony, that creates unique vibrations among the so various instruments of a symphonic orchestra....

Why are you photographs creating so many vibrations in me ?

Because, indeed, there is no desire without vibrations... One can feel harmonics or not, with a woman, a boy or a photograph...

Your photographs of the boys of Taormina open a wide space for dreams, where the caresses of the gaze can meet those of the hand. You have a unique way to catch what makes a boy desirable, even when a Taormina shepherd is disguised as an Athenian shepherd....

Body curves and face, of course... Shyness mixed with a teen boy's virility too... and last but not least, the contour of a chest as well as the position of legs...

Well, in short, just a silhouette and so many signals attracting the viewer's gaze and desire...

Dear Wilhelm, is it possible to fall in love with one of your photographs ? Your model was in
front of your camera and he will be so forever... But your photograph makes him so actual, so close...

Dear Wilhelm, often, I felt in love with one of your models... I know they were not aware of it...  Should it be a comfort, or a suffering for me ?

Your friend

Albrecht von F.

Von Gloeden Archive, Letter von Albrecht von F. to Wilhelm von Gloeden, 12.06.1898, call number 1898/06/12/02.

Rêve, Désir


Cher Wilhelm,

Pourquoi suis-je à ce point sensible à votre art photographique ? Après tout, mes rêves ne s'appuient que sur des tirages de vos photographies, albuminés ou argentiques, bref, des feuilles de papier.

Pourquoi votre regard, votre goût esthétique, les consignes que vous avez données à vos modèles ont-ils une telle pertinence, une telle évidence pour moi ?

Tout cela est une affaire de désir, vous le savez. Et le désir est comme une harmonie musicale, qui fait vibrer ensemble différents instruments d'un orchestre symphonique...

Pourquoi vos photographies me font-elles vibrer ?

Parce que le désir, bien sûr, est une affaire de vibrations... On entre en harmonie ou non avec une femme, un garçon, ou une photographie...

Vos photographies des garçons de Taormina ouvrent un espace de rêve, entre les caresses du regard et celles de la main. Vous savez capter ce qui rend un garçon désirable, même lorsqu'un berger de Taormina est déguisé en éphèbe athénien...

Les courbes et le visage, sans doute... la timidité mêlée à une virilité adolescente, aussi... le modelé d'une poitrine comme la position des jambes, enfin...

Bref, une silhouette, une concentration de signaux qui attirent le regard et le désir...

Cher Wilhelm, peut-on tomber amoureux de l'une de vos photographies ? Votre modèle est à jamais au-delà de l'oeil de votre appareil photographique, mais votre photographie nous le rend si présent, si proche...

Cher Wilhelm, je suis souvent tombé amoureux de vos modèles... Je sais qu'ils ne le savent pas... Est-ce une consolation, ou une souffrance... ?

Votre ami

Albrecht von F.

Von Gloeden Archive, Letter from Albrecht von F., to Wilhelm von Gloeden, 12.06.1898, call number; 1898/06/12/02

Kyrie Eleison (Jacques Fersen)


Dans tes yeux assombris par les chagrins d'Amour
Je regarde briller et mourir des étoiles:
Ton regard est la mer où fuyèrent des voiles.
La voile a disparu, la mer reste toujours.

Dans tes yeux furieux par la haine d'Amour
Je regarde passer des caresses lointaines:
Ton regard est le ciel plus doux qu'une fontaine,
Les nuées sont parties, le ciel reste toujours.

Mais dans tes yeux cruels, indifférents d'Amour,
La mer s'est desséchée et le ciel devient vide,
Et c'est comme un désert embrasé et splendide
Où vivait autrefois un joli roi d'un jour !

Jacques Adeswärd-Fersen, L'Hymnaire d'Adonis,
Paris, Librairie Léon Vanier, 1902, p. 20.

Saturday, February 13, 2010

Portrait

"Dear Wilhelm,

Although my life is among Greek and Latin texts of the Teubner series, among the volumes of the Realencyclopädie of Pauly and Wissowa, among the marbles of the Berlin Museum and the papyri of my Seminar library, I have never seen Greek Antiquity so well incarnated as in your Taormina boys. Of Athens ephebes, they have the juvenile grace and indeed the Greek profile, the serenity and the suntanned complexion, and also such a nonchalant way to wear a tunic without covering all their chest.

This new photograph from your studio in the Piazza San Domenico, dear Wilhelm, is a gift that my friend Wolfgang brought back to me from his Grand Tour, Greece and Italy and Sicily, until the Mount Etna slopes.

This portrait makes me dream... This young man so focussed will perhaps enter the Panathenaic procession, walking towards the Acropolis... Or perhaps he is listening to Socrates while he explains that a wise ignorance should be preferred to false knowledge. He could be charmed too by a poet, singing the power of Aphrodite or Achilles' bravery. Or perhaps he is just relaxing, after his training at the gymnasium, after a bath cleaned away sweat and dust from his body ?

Or maybe he is waiting for a friend, for a lover who pays court to him, with words sweet as honey, and who pays hommage to his shining beauty.. ?

Ah, Wilhelm, Wilhelm, I would love so much to leave the world of my library and to enter the world of your photographs...

I would love to be the special one this lad is waiting for...

Your friend,

Friedrich von W.

Von Gloeden Archive, Letter from Friedrich von W. to W. von Gloeden, 12.03.1904, call number: 1904/03/12/05.

Portrait

"Cher Wilhelm,

J'ai beau vivre parmi les textes grecs et latins de la collection Teubner, les volumes de la Realencyclopädie de Pauly et Wissowa, les marbres du Musée de Berlin et les papyrus de ma bibliothèque de Séminaire, jamais je n'ai trouvé l'Antiquité grecque aussi bien incarnée que dans vos garçons de Taormina. Des éphèbes d'Athènes, ils ont la grâce juvénile et le profil grec, la sérénité et le teint bronzé, la manière nonchalante de porter la tunique pour laisser le torse à moitié découvert.

Cette nouvelle photographie de votre studio de la Piazza San Domenico, cher Wilhelm, m'a été rapportée par mon ami Wolfgang qui revient de son Grand Tour, la Grèce et l'Italie, et la Sicile jusqu'aux pentes de l'Etna.

Ce portrait me fait rêver... Ce jeune homme si concentré s'apprête peut-être à prendre place dans la procession des Panathénées qui se met en route vers l'Acropole...  Peut-être écoute-t-il Socrate lui expliquer qu'une sage ignorance vaut tous les vains savoirs, ou est-il sous le charme d'un poète chantant les dieux et les héros, les pouvoirs d'Aphodite et la vaillance d'Achille ? Ou peut-être tout simplement reprend-t-il son souffle, après les exercices du gymnase, lorsque le bain a lavé sueur et poussière ?

Peut-être aussi attend-t-il l'ami, l'amant qui le courtise avec des mots doux comme le miel et rend mille hommages à sa beauté resplendissante...?

Ah, Wilhelm, Wilhelm, j'aime tant quitter le monde de ma bibliothèque pour entrer dans celui de vos photographies...

J'aimerais être celui que ce jeune homme attends...

Votre ami,

Friedrich von W.

Von Gloeden Archive, Lettre de Friedrich von W. to W. von Gloeden, 12.03.1904, call number: 1904/03/12/05

Friday, February 12, 2010

Poems without words / Poèmes sans mots



Venise / Venice


Essebac sur Mercure et Narcisse (Musée de Naples)


"Dans le Mercure au repos comme dans la statuette ravissante de Narcisse, c'est amoureusement modelée par des maîtres dont la science exalte le rythme cher à l'école Praxitélienne, la plus sublime conception de la vie corporelle ramassée toute en les contours charmants, en la grâce et la force déjà viriles de la jeunesse offrant aux regards sa radieuse et saine nudité.

C'est un ravissement, cette statuette de Narcisse, dont la tête riante et mutine, aux traits spirituels, doucement s'incline en avant, retenue sur des épaules robustes par la nuque enveloppée des boucles légères d'une chevelure répandue en ondulations soyeuses autour du beau visage de l'adolescent et sur son front couronné de feuillages. Sa poitrine aux rondeurs masculines descend jusqu'au ventre sans effort, dans le modelé d'un torse impeccable. A la grâce de ses bras et de ses mains fines aux gestes gamins et frivoles, s'unit délicieusement le dessin ferme des cuisses et des jambes aux lignes précieuses.



Les pieds impatients qui semblent à peine peser sur la terre, sont à demi cachés dans des cothurnes d'une recherche surprenante: les courroies ornées de ciselures s'écartent et laissent voir la délicatesse des chevilles, l'extrême légèreté des attaches, attestant ainsi l'art du sculpteur jusqu'en les plus infimes détails de cette fragile figurine qui demeure comme un type achevé du plus pur atticisme, et la réalisation parfaite de ce tout harmonieux qu'est un jeune corps.



Sur un roc chargé du faix gracieux de ses formes juvéniles, Mercure repose en une attitude calme et naturelle. On sent, à travers la patine du bronze, la saveur tiède du modelé, le soin et le fini suprêmes du travail. On voit se précipiter à travers la chair le flux de la vie; et devant ces formes raffinées, l'esprit a peine à concevoir autant l'éblouissante et invraisemblable beauté des modèles, que le génie subtil et la passion des maîtres qui savaient les copier pareillement...

Ils devaient les aimer, ces jeunes hommes, ceux qui, de leurs doigts, ont taillé dans le marbre, pétri dans la glaise et ciselé dans le bronze la gloire de leurs corps empreints d'une élégance telle qu'il ne paraît pas que la nature même ait jamais offert une semblable perfection. Et cependant ils ont vécu, ces adolescents, embellissant par leur seule présence la vie quotidienne de la Grèce antique. Chacun les voyait aller, chastes et nus, sous les portiques des gymnases, luttant de grâce, d'adresse et de force, beaux et fiers, comme le Doryphore de Polyclète, — cet autre chef-d'oeuvre,— épanouis en la plénitude des formes qui annoncent à l'enfant assoupli aux jeux de la palestre sa transformation virile et prochaine. Leurs figures reflètent encore, dans les marbres qui nous enchantent, la sérénité de l'esprit, le calme de tout l'être confiant en sa robustesse, heureux de s'offrir sans voiles sous l'azur du ciel, de dorer sa blonde nudité, ou de tremper la floraison brune de sa chair aux rayons ardents du soleil, très pur, ignorant même s'il est nu..."

Achille Essebac, Partenza... vers la beauté !, 3e éd., 1903, pp. 148-150.

Saturday, February 6, 2010

Sicilian Dream

"Dear Wilhelm,

As a man loving to dream, I am convinced of something: a collector does not choose the photograph, it is the photograph that chooses the collector. When this sublime portrait was offered to my eyes, I instantly knew that I would never be tired to listen to the silent poetry of this albuminate print of one of your masterworks. And I consider as an immense privilege to have been chosen, among all the lovers of your art, to be the first to accept the invitation of this so beautiful face.

Everything is singing to my eyes in this face: the laurels crown, the serenity of the expression, the gaze flying outside the frame of the photograph. This gaze seems so focussed, on looking inside a soul, on expressing the power of human will on life and fate.

Who are you, so beautiful young man ? Why did you receive this laurels crown, is it just for the classical beauty of your perfect face ? Are you an athlete who won a race or a fight at the games of Olympia or Delphi ? Obviously, you seem to have the stature, the strength, the sculptural perfection of a Greek athlete. But I would rather imagine you are a poet inspired by the Muses, still listening to their invisible voices while you just received a crown for your song. Would you be Pindar, singing the winners at the stadium games and sharing their crowns ? Or Sophocles, celebrated by the Athenians for your Oedipus Rex or your Antigone, when these tragedies where played in the Dionysos theater, close to the Acropolis walls ? You could be too Gorgias the Sophist, born in Sicilia, who taught the art of speech and reasoning to the Athenian youth and was lucky enough to meet Socrates himself in a Plato's dialogue ?

I could still imagine you as a king of Pergamon or of Seleucia, as the Philadelphos king of Alexandria who married his sister and cared to much about scholarship and arts and was so concerned with the gathering of books and erudite men....

Perhaps sometimes in the future, beautiful young man crowned with laurels, you will tell me who you are...

Beyond the beauty of faces and bodies, dear Wilhelm, your photographs invite souls to be in communion.

Philip"

Von Gloeden Archive, Letter from Philip X to W. von Gloeden, 15.01.1891, call number: 1891/01/15/25.

Rêve sicilien


"Cher Wilhelm,

Le grand rêveur que je suis a acquis une conviction: ce n'est pas le collectionneur qui choisit la photographie, mais la photographie qui choisit le collectionneur. Lorsque ce magnifique portrait est passé sous mes yeux, j'ai su que je ne me lasserai jamais d'écouter la poésie silencieuse de ce tirage albuminé de l'un de vos chefs-d'oeuvre. Et j'ai ressenti comme un immense privilège d'avoir été élu, parmi tous les amoureux de votre art, pour répondre le premier à l'invitation de ce beau visage.

Tout chante à mes yeux dans cette figure: la couronne de lauriers, la sérénité du visage, le regard fuyant hors cadre, qui me semble absorbé dans l'introspection d'une âme comme dans l'exercice d'une volonté sur la vie et le destin.

Qui es-tu, magnifique jeune homme, et que viennent couronner ces lauriers, au-delà de la beauté classique de ton visage parfait ? Es-tu un athlète qui vient d'être couronné aux jeux d'Olympie ou de Delphes ?  Tu en as la carrure, la solidité, la perfection sculpturale. Mais je t'imaginerai plutôt, peut-être, comme un poète inspiré par les Muses, qui écoute encore leurs voix invisibles alors même que l'on vient de te couronner pour ton chant. Serais-tu Pindare, chantant les vainqueurs des jeux du stade et partageant leur couronne ? Ou Sophocle, célébré par le peuple d'Athènes pour son Oedipe Roi ou son Antigone qui triomphèrent dans le théâtre de Dionysos, sous les murs de l'Acropole ? Ou peut-être serais-tu le sophiste Gorgias, un Sicilien, qui enseignait les techniques de la parole et du raisonnement aux jeunes gens d'Athènes, et eut l'honneur de rencontrer Socrate dans un dialogue de Platon ?

Je t'imagine aussi comme un roi de Pergame ou de Séleucie, le roi Philadelphe d'Alexandrie qui épousa sa soeur, mais prit tant de soin à protéger les lettres et les arts, à réunir les livres et les lettrés...

Sans doute un jour, beau jeune homme à la couronne de lauriers, me diras-tu qui tu es...

Au-delà de la beauté des corps et des visages, vos photographie, cher Wilhelm, montrent la communion des âmes.

Philip"

Von Gloeden Archive, Letter from Philip X to W. von Gloeden, 15.01.1891, call number: 1891/01/15/25

Jacques Adeswärd-Fersen - Les Bucoliques.


"Grèce, ô rivage clair, patrie du doux soleil,
O mère des parfums, des gaités et des roses,
Toi que les voyageurs saluent toujours à cause
Du souvenir épars sur tes coteaux vermeils,

Tu ne créas jamais de ton ciseau splendide
Une statue plus belle ou un enfant plus blond
Que le berger Daphnis dont sur le Pélion
J'ai gardé les troupeaux et les rêves candides.

Pendant des jours d'oubli, à l'ombre de son coeur,
J'ai goûté la langueur d'adorer sans le dire:
Oh ! moi qui frissonnais rien qu'à le voir sourire,
Il partit ignorant de ma lourde douleur !

Car depuis qu'il est loin, que j'ai perdu son charme,
Je suis comme un héros retenu prisonnier,
Mes membres sont d'argile et mes yeux ont brillé
Sans pouvoir ressaisir la poignée de mes armes.

... Grèce, ô rivage clair, patrie du doux soleil,
Rends à ma nostalgie, à mon désir qui chante
Le berger, l'enfant blond dont la beauté me hante
Et dont les yeux sont purs encor plus que ton ciel !"

Jacques Adeswärd-Fersen, L'Hymnaire d'Adonis
Paris, Librairie Léon Vanier, 1902, pp. 11-12.

Nouvelles perspectives dans les Gender studies


Diogène 2009 - n° 225 (Presses Universitaires de France)


Nicole G. ALBERT : Genre et Gender : un outil épistémologique transdisciplinaire
Joan W. SCOTT : Le genre : une catégorie d’analyse toujours utile ?
Tanella BONI : Corps blessés, corps retrouvés ? Les discours sur les mutilations sexuelles féminines 
Madeline H. CAVINESS : Féminisme, Gender Studies et études médiévales
Moha ENNAJI : Multiculturalisme, genre et participation politique au Maroc
Sirma BILGE : Théorisations féministes de l’intersectionnalité
Boutheina CHERIET : Le genre et la citoyenneté comme « troc » dans l’Algérie postcoloniale
Françoise COLLIN : Entre poiêsis et praxis : les femmes et l’art
Morny JOY : L’impact du genre sur l’étude des religions
Geneviève SELLIER : Gender Studies et études filmiques : avancées et résistances françaises
Thierry HOQUET : La sociobiologie est-elle amendable ? Biologistes, féministes, darwiniennes face au paradigme de la sélection sexuelle
Susanne LETTOW : Les bio-technosciences en philosophie. Défis et perspectives pour les gender studies
Patrick CARDON : Post-Queer : Pour une « approche trans-genre », ou le trans-genre comme catégorie d’analyse (texte disponible
ici)

Libres propos
Nathalie ERNOULT &
Catherine GONNARD : Regards croisés sur « 
elles@centrepompidou »

Compte rendu
Patrick Cardon, Discours littéraires et scientifiques fin-de-siècle. 
Autour de Marc-André Raffalovitch, par Mathieu FARIA.

Mythes et genres





Diogène 2004 - n° 208 - MYTHES ET GENRES (Presses Universitaires de France)





Eva CANTARELLA 
L ' hermaphrodite et la bisexualité à l' épreuve du droit dans l' Antiquité

Pierre-Emmanuel DAUZAT
 
Mythologie de l' engendrement et du sexe chez les Pères de l' Église

Moshe IDEL
 
Androgynie et égalité dans la Kabbale théosophico-théurgique

Michael GRONEBERG
 
Mythe et science autour du genre et de la sexualité. Éros et les trois sexes dans " Le Banquet " de Platon

Wendy DONIGER O. FLAHERTY
 
La bisexualité dans la mythologie de l' Inde ancienne

Laure MURAT
 
L' invention du neutre

Jean-Jacques NATTIEZ
 
La Tétralogie de Richard Wagner, miroir de l' androgyne et de l' oeuvre d' art totale

Cécile LADJALI
 
" Quand j' écris, je ne suis d' aucun sexe "

Vanessa ROUSSEAU
 
Ève et Lilith : deux genres féminins de l' engendrement

Wolfgang WACKERNAGEL
 
Les noces mystiques du bienheureux Henri Suso

Nicole G. ALBERT
 
Du mythe à la pathologie : les perversions du genre dans la littérature et la clinique fin-de-siècle

Catherine VIDAL
 
Cerveau, sexe et idéologie

Bernard SALADIN D'ANGLURE
 
Le " troisième " sexe social des Inuit

Pierre-Emmanuel DAUZAT
 
Malversations sur le sexe des pierres : Caillois et le mythe (Postface)



Libre Propos

Malek CHEBEL 
Les figures du désir dans la culture arabo-musulmane, entretien avec Nicole G. Albert et Lydia R. Ruprecht



Compte-rendu 
Les mots du monde / masculin - féminin. Pour une dialogue entre les cultures, sous la direction de Nadia Tazi, La Découverte 2004, par Elsa DORLIN



Chroniques

Entre science et spiritualisme : la vision d' un avenir asexué selon Frances Swiney, parGeorge ROBB



Corps de Chine : l' Oeuvre de Ma Liuming, par Anne LETTRÉE



" Varius multiplex multiformis ", impressions sur le Satiricon de Federico Fellini, par Cécile LADJALI



Mythe et sexe : quelques réflexions autour des travaux de Françoise Héritier, par Marie-Blanche TAHON



ANNEXE : Programme UNESCO pour l' égalité des sexes

Friday, February 5, 2010

Dreaming about an horizon


(Personal collection)

"In my work, there are several photographs where a boy is linked to an horizon. Perhaps because any boy is an horizon, and any horizon invites the viewer to go elsewhere... And also because there is no desire without an elsewhere, without an horizon... On a mere technical level, it is not an easy task to make a boy coinciding with a geographical horizon. First, the photographer should find the right place, where the viewer's gaze will be free to wander between a foreground and a background. Then, he shoud find the better light, this kind of light that, I know it for sure, will melt the sky and the sea into the same kind of white mist. I should just find the best place to set up my camera, in order to shift from what is close to the most remote horizon, from the rocks of the foreground to the cartographical outline in the background. Actually, I love the way the Sicilian coast is flying off and disappears at the top of my photograph... 



Of course, my model is at the foreground. I will not tell you his name again, since you know it already... But he is one of my beloved ones, among all the boys of Taormina. I love his teen boy's grace, I love his brune hair, his Mediterranean face, so Greek, so Sicilian. I love the loincloth nonchalantly put around his hips, a care for decency that sometimes he forgot... Among all my models, I would say he is the closest to the Arcadian shepherds I can imagine while reading Theocritus or Vergil's poems.



My photograph caught him while he is just awakening, at the hottest peak of the day, when anyone just needs to sleep and relax. He is alone, lost in the borders of the country, in the eschatiai, so far from Taormina, so far from any cultivated fields, he is just in the wild pastures, where goats and sheeps are used to graze, but where gods can be met too.

My cute shepherd, leaning against a rock... Who are you looking at ? Is it Pan, or Dionysos and his satyrs, of Hermes, the messenger of Olympian gods ? Or perhaps you are looking at a nymph, lost between a spring and a forest ? Or... well..  perhaps you are just looking at the eye of my camera, or at you, you who are seduced by this photograph ?"

Von Gloeden Archive, Von Gloeden's diary (publication in progress).

Un rêve d'horizon


(Collection personnelle)

"Il y a dans mon oeuvre plusieurs photographies qui associent un garçon et un horizon. Sans doute parce qu'un garçon est un horizon, et que tout horizon ouvre vers un ailleurs, et qu'il n'est pas de désir sans un ailleurs ou un horizon. Il est difficile, techniquement parlant, de faire coïncider un garçon et un horizon géographique. Il faut trouver le lieu adéquat, invitant le regard à jouer entre les plans, du proche au lointain. Il faut trouver le meilleur éclairage, la lumière dont je sais que, sur mes photographies, elle fera fondre le ciel et la mer dans la même vapeur blanche. Il faut trouver la bonne position de l'appareil photographique, qui permettra de passer du proche au lointain, de la matière minérale du premier plan à l'envol cartographique de l'arrière-plan. J'aime la manière dont, sur cette photographie, la côte sicilienne s'envole et se perd dans les lointains, à la verticale de l'image.



Et bien sûr, il y a mon modèle au premier plan. Je ne vous dirai pas son nom, car vous le connaissez tous. Mais il est l'un de mes préférés, parmi les garçons de Taormina. J'aime sa grâce adolescente, sa chevelure brune, son visage méditerranéen, si grec, si sicilien. J'aime les pagnes qui glissent nonchalamment sur ses hanches pour préserver une pudeur dont, cependant, il ne soucie pas toujours, bref je l'aime pour lui-même. Il est le plus proche des bergers arcadiens que j'imagine à la lecture de Théocrite ou de Virgile. 



Ma photographie le saisit ici dans l'instant de l'éveil, au plus chaud de la journée, lorsque tout invite au sommeil et au délassement. Il est dans les confins, les eschatiai, loin du village, loin des terres cultivées, dans les pâturages sauvages où se promènent chèvres et moutons, mais où on rencontre aussi les dieux.

Mon beau berger, alangui contre un rocher... Qui regardes-tu ? Le dieu Pan, Dionysos et ses satyres, ou Hermès, le messager des dieux ? Ou encore une nymphe égarée, entre une source et un bois ? Ou peut-être l'oeil de mon appareil photographique, et toi, qui seras séduit par cette photographie ?"

Von Gloeden Archive, Von Gloeden diary (publication in progress).


Wednesday, February 3, 2010

Le théâtre de von Gloeden / Von Gloeden's Theater


Les ruines spectaculaires du théâtre grec de Taormina sont-elles hantées ? Sur cette carte postale du studio W. von Gloeden, trois silhouettes surgissent et regardent vers la mer. Deux sont drapées de blanc, la troisième dirige son bras droit vers l'horizon.

Are the scenic ruins of the Greek Theater of Taormina haunted ? On this postcard signed by von Gloeden, three silhouettes can be seen: they are looking toward the sea. Two of them wear white tunics, the third one is pointng his right hand towards the horizon.

Quel autre lieu de Taormina pouvait mieux exprimer l'art de la mise en scène, l'imagination baroque, l'idéal esthétique, les jeux de référence à l'Antiquité classique qui sont à la base de l'activité photographique de von Gloeden ?

Is there another place in Taormina that could better express the art of the stage set-up, the baroque imagination, the aesthetic idea and the games of allusion to Classical Antiquity that are the trademarks of von Gloeden's photographs ?

Mais regardons plus attentivement l'homme qui pointe son bras vers l'horizon.
But let us look more carefully at the man who has his hand pointed towards the horizon.


Il s'agit de von Gloeden, lui-même, qui est à l'intérieur de la photographie qu'il signe de son nom. Le plus important était la mise en scène, le choix d'un angle de vue en contre-plongée, le contraste entre les ruines et le ciel, le climat contemplatif créé par ces trois personnages qui regardent hors-champ, vers un horizon qui échappe à la photographie.

This man is von Gloeden himself. He is one of the characters of the photograph he is signing with his name. The more important was the stage set up, the choice of a view point from below, the visual contrast between the ruins and the sky, the contemplative mood of these three actors looking toward an horizon that is outside the frame of the photograph.

Une autre photographie nous permet de découvrir le déguisement de von Gloeden. Veut-il incarner Poséidon armé de son trident ? Ou Hermès et son caducée, avec aux pieds des sandales bien lacées ? Ou s'agirait-il d'un gladiateur romain prêt au combat ?

Another photograph allows us to discover von Gloeden's disguise. Perhaps his intent was to be Poseidon with his trident ? Or Hermes with his stick, and with well ajusted sandals ? Or a Roman gladiator ready to fight ?

J'aime cette carte postale et la photographie qui en offre la clé, j'aime l'imagination et le rêve, la folie douce et le bricolage kitsch qui transforment un respectable baron allemand en acteur des mondes qu'il aimait à crééer.

I love this postcard and the photograph that provides us with a close up of von Gloeden's look. I love the imagination and the dream, the extravagance and the kitsch disguise that transform a respectable German baron into a character of the worlds he loved to create.