Wednesday, August 11, 2010

Anatomie d'une photographie


"— Wilhelm, dis-moi, dis-moi le secret de cette photographie...
— Mon secret, Philip ? Je regarde comme on écoute: j'essaie de capter des harmoniques, une mélodie, un rythme. Je compose ma photographie comme le peintre organise son canevas. Je mets en scène, j'essaie de capter la lumière, la poésie, les harmoniques d'un moment...
— Wilhelm, dis-moi encore, dis-moi le secret de cette photographie ?
— Philip, il y a cet amandier en fleurs, symbole du printemps et de la jeunesse. Il y a Marco, mon modèle, nu et assis sur un rocher. Il y a ce serpent venu des profondeurs de la terre, il est la nuit, la mort, il est vaincu par Marco, l'Hermès de Taormina, qui chemine entre le monde des morts et le monde des vivants...
— Wilhelm, le serpent est un archétype, comme dirait Carl Jung, il est aussi un symbole, un phallus animal, comme dirait Sigmund Freud...
— Peut-être, oui, peut-être... mais peut-on réduire un serpent de Taormina à un archétype ou à un symbole ?
— Wilhelm, mon ami, j'ai une autre question... Pourquoi retouches-tu tes photographies à la plume ?
— Mes photographies sont des tableaux, chaque tirage est unique, et j'aime lui apporter une ultime retouche... J'ai souligné une mèche de cheveux, le sillage des cils sur un oeil fermé... C'est un accent, une ponctuation, une touche finale...
— Wilhelm, tes retouches sont parfois des caresses...
— Oui, Philip... J'ai caressé la courbe de ce corps, j'ai dessiné un rivage entre la chair et les fleurs.... Juste un geste, un trait de plume, pour souligner la beauté d'un corps...
— Et tu signes, Wilhelm, tu signes tes photographies comme un peintre ses tableaux...
— Chaque photographie est unique... Je l'imprime à la demande, et j'aime à la signer et à la dater, pour l'inscrire dans le temps de l'histoire... Je l'ai signée et datée pour toi, Philip... Mon nom, calligraphié, est le tatouage de la photographie: "Glöden"...
— Mais quel est le sens, cher Wilhelm, de ces signes mystérieux, en haut de la photographie...?

— Une photographie est un miroir, Philip... Il faut regarder ma photographie dans un miroir... Tu liras ce que j'ai écrit sur la plaque négative...
— Je lis... "1251 Baron von..."
— J'aime cette petite énigme visuelle laissée à la sagacité de mes acheteurs... Mais dis-moi, Philip, mon ami... Pourquoi as-tu choisi de m'acheter cette photographie ?

— J'aime ce garçon, mon ami Baron, j'aime ce rêve inaccessible dans lequel il est plongé, j'aime la rencontre entre le grain de la photographie et le trait de ta plume, j'aime ce miroir de mes rêveries et de mon désir, au soleil de Taormina, en cette année 1908."

Transcription d'une conversation entre Wilhelm von Gloeden et Philip X.
Philip, Journal de Taormina, Hotel San Domenico, 12 septembre 1908 (inédit, collection privée).

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