Wednesday, August 25, 2010

La mélancolie d'Ahmed - Asrah / The Melancholy of Ahmed - Asrah


(Collection personnelle)

"D'où viens ta mélancolie, Ahmed... ?
Pourquoi ce voile de tristesse qui recouvre ton regard ?
Tu sembles perdu dans des horizons si lointains, 
Parmi les dunes du désert, les dunes du désir...

Au seuil de ce XXe siècle, dans la fleur de l'âge, songes-tu déjà que tu n'en vivras pas la fin ?

Ou est-ce l'appareil photographique de von Gloeden qui te renvoie l'image de ta jeunesse, de ta beauté ?

Peut-être aimerais-tu voyager là où iront les cartes postales qui s'ornent de ton visage,
A Paris, Londres, New York ou Berlin, Alexandrie ou Amsterdam,
A Moscou, Pékin, Tokyo ou dans des îles lointaines, dans les archipels du rêve...

Peut-être penses-tu à celui, à celle qui regardera ton visage, 
A qui tu inspireras la rêverie d'un voyage, d'un retour aux sources,
Parmi les dunes du désert, les dunes du désir...

Tu m'inspires le chant et le silence,
Le regret et l'espoir,
Le rêve et le voyage,
Vers les archipels de la mémoire,
Là où se perdent la joie et la tristesse,
Parmi les dunes du désert, les dunes du désir..."

Philip, Journal de Taormina, Hotel San Domenico, 15 avril 1907 (inédit, collection privée).


(Personal Collection)

"Why are you so melancholic, Asrah... ?
Why does such a veil of sadness cover your eyes ?
You seem to be lost in horizons so far, so far away,
Among the sandhills of desert, the sandhills of desire...

At the threshold of this XXth century, in your blossoming youth, are you already aware you will not live until its end ?

Or perhaps it is von Gloeden's camera that mirrors your beauty, your youth ?

Perhaps you would love to travel, far, so far away, where these postcards will travel, with the ornement of your face,
To Paris, London, New York or Berlin, Alexandria or Amsterdam, 
Or to Moscow, Pekin, Tokyo, or to so remote islands, to the archipelago of dreams...

Perhaps you are wondering who will look at your face, either a woman or a man, 
Who will get from you the inspiration to travel far away, to come back to the origins, 
Among the sandhills of desert, the sandhills of desire...

To me, you inspire a song as well as silence,
Sorrow as well as hope,
Dreams and a journey,
A long journey
Towards the archipelago of memory,
Where joy and sadness vanish,
Among the sandhills of desert, the sandhills of desire..."

Philip, Taormina Diary, Hotel San Domenico, April 15, 1907 (unpublished, private collection)

Sunday, August 22, 2010

Wednesday, August 11, 2010

Anatomy of a photograph


"— Wilhelm, please, tell me, tell me what is the secret of this photograph ?
— My secret, Philip ? I am looking at the world as one listens to music. I try to catch harmonics, a melody, a rythm... I am creating a photograph as a painter creates his painting. I am building a stage set up, I try to catch light, poetry and the harmonics of a unique moment... 
— Wilhelm, please, tell me something more, what is the secret of this photograph ?
— Philip, there is this blossoming almond tree in the background, a symbol of spring and youth... There is also Marco, my model: he is naked, he is sitting on a rock. There is also a snake, it came from the depths of earth, it is the night, it is death, it was mastered by Marco, Taormina's Hermes, who is always travelling between the world of death and the world of life...
— Wilhelm, a snake is an archetype, as Carl Jung would say... It is also a symbol, an animal phallus, according to Sigmund Freud...
— Maybe, yes, maybe... but how a snake from Taormina could be reduced to an archetype or to a symbol ?
— Wilhelm, my friend, I have another question... Why are you retouching your photographs with a pen? 

— My photographs are paintings, each print is unique, and I love to add a final touch with my pen... Here, I chose to emphasize hairs as well as the line of my model's closed eyes... It is an emphasis, a visual punctuation, a final touch...
— Wilhelm, your final touches are like caresses... 
— Yes, Philip, you are right, I caressed the curve of this body, I draw a shoreline between this boy's body and the almond-tree flowers... It is just a gesture, an inked line, to emphasize a young body's beauty...
— Wilhelm, you are signing your photographs as a painter is signing his paintings...
— Each photograph is unique... I print it upon a buyer's request... and I love to add my signature and the date, to root my photograph in time and history... I signed and dated this photograph for you, Philip... My name is like a tatto on the photograph: "Glöden"...
— What is the meaning, dear Wilhlem, of the mysterious signs on the top of the photograph ? 

— A photograph is like a mirror, Philip... You should look at my photograph through a mirror... You will be able to read what I wrote on the negative plate...  
— I can read... "1251 Baron von..."
— I love this little visual riddle submitted to the buyers of my photographs... But, please, tell me, Philip, my friend... Why did you choose to buy this particular photograph ? 

— I felt in love with this boy, dear Baron, my friend... and I love the dream out of reach, the dream he is living and looking at... I love this photograph with the emphasis of your drawing pen, I love this mirror of my dreams and desires, in Taormina, 1908..."

Transcript of a talk between Wilhelm von Gloeden and Philip X.
Philip, Taormina Diary, Hotel San Domenico, September 12,  1908 (unpublished, private collection).

Anatomie d'une photographie


"— Wilhelm, dis-moi, dis-moi le secret de cette photographie...
— Mon secret, Philip ? Je regarde comme on écoute: j'essaie de capter des harmoniques, une mélodie, un rythme. Je compose ma photographie comme le peintre organise son canevas. Je mets en scène, j'essaie de capter la lumière, la poésie, les harmoniques d'un moment...
— Wilhelm, dis-moi encore, dis-moi le secret de cette photographie ?
— Philip, il y a cet amandier en fleurs, symbole du printemps et de la jeunesse. Il y a Marco, mon modèle, nu et assis sur un rocher. Il y a ce serpent venu des profondeurs de la terre, il est la nuit, la mort, il est vaincu par Marco, l'Hermès de Taormina, qui chemine entre le monde des morts et le monde des vivants...
— Wilhelm, le serpent est un archétype, comme dirait Carl Jung, il est aussi un symbole, un phallus animal, comme dirait Sigmund Freud...
— Peut-être, oui, peut-être... mais peut-on réduire un serpent de Taormina à un archétype ou à un symbole ?
— Wilhelm, mon ami, j'ai une autre question... Pourquoi retouches-tu tes photographies à la plume ?
— Mes photographies sont des tableaux, chaque tirage est unique, et j'aime lui apporter une ultime retouche... J'ai souligné une mèche de cheveux, le sillage des cils sur un oeil fermé... C'est un accent, une ponctuation, une touche finale...
— Wilhelm, tes retouches sont parfois des caresses...
— Oui, Philip... J'ai caressé la courbe de ce corps, j'ai dessiné un rivage entre la chair et les fleurs.... Juste un geste, un trait de plume, pour souligner la beauté d'un corps...
— Et tu signes, Wilhelm, tu signes tes photographies comme un peintre ses tableaux...
— Chaque photographie est unique... Je l'imprime à la demande, et j'aime à la signer et à la dater, pour l'inscrire dans le temps de l'histoire... Je l'ai signée et datée pour toi, Philip... Mon nom, calligraphié, est le tatouage de la photographie: "Glöden"...
— Mais quel est le sens, cher Wilhelm, de ces signes mystérieux, en haut de la photographie...?

— Une photographie est un miroir, Philip... Il faut regarder ma photographie dans un miroir... Tu liras ce que j'ai écrit sur la plaque négative...
— Je lis... "1251 Baron von..."
— J'aime cette petite énigme visuelle laissée à la sagacité de mes acheteurs... Mais dis-moi, Philip, mon ami... Pourquoi as-tu choisi de m'acheter cette photographie ?

— J'aime ce garçon, mon ami Baron, j'aime ce rêve inaccessible dans lequel il est plongé, j'aime la rencontre entre le grain de la photographie et le trait de ta plume, j'aime ce miroir de mes rêveries et de mon désir, au soleil de Taormina, en cette année 1908."

Transcription d'une conversation entre Wilhelm von Gloeden et Philip X.
Philip, Journal de Taormina, Hotel San Domenico, 12 septembre 1908 (inédit, collection privée).

Thursday, August 5, 2010

Une lettre de von Gloeden à Nicole Canet

Tirage albuminé signé, cachet au verso: 5 Janvier 1900
(Collection particulière)
"Taormina, 5 Janvier 1900,

Liebe Nicole,

J'ai été si heureux de vous rencontrer en décembre dernier, lors de mon séjour parisien... J'avais tellement entendu parler de vous, de tout ce que vous faites dans votre Galerie d'Art "Au Bonheur du Jour" pour faire connaître mon modeste travail photographique...

Je suis si heureux que vous aimiez mon Paradis sicilien, mes bergers et mes faunes, mes ragazzi beaux comme les dieux de l'Olympe...

Nul ne comprends mieux que vous la beauté et la pudeur, l'émotion et les souvenirs, la poésie et l'atmosphère de mes photographies, et je suis tellement heureux de savoir que vous faites découvrir mes tableaux albuminés ou argentiques aux visiteurs de votre belle Galerie.

Je vous envoie, Liebe Nicole, en hommage amical et respectueux, une photographie que j'ai prise lors de ma visite...

Vous êtes ma Muse, mon Egérie, Nicole, vous êtes ma musique et mon parfum, et si vous n'existiez pas, il faudrait vous inventer !

Alles Liebe,

Ihr Wilhelm"

Von Gloeden Archive, Letter from W. v. Gloeden to Nicole Canet, call number 1900/01/05

Wednesday, August 4, 2010

Un an déjà... / One year, already...

Ami lecteur,

Voici un an que j'ai créé ce blog... Mon projet était de dérouler le fil d'une rêverie, d'une réflexion autour de l'art photographique du baron Wilhelm von Gloeden. Je suis en effet tombé amoureux de ses photographies, de ses modèles, de l'atmosphère néo-arcadienne dans laquelle il situe les garçons et les jeunes hommes de Taormina. Son regard me touche, sa vision m'inspire, ses photographies expriment une sensibilité, un désir qui étaient les siens, qui sont aussi les miens.

Les livres de reproductions photographiques m'ont fait entrer dans son univers... J'ai poursuivi le voyage en constituant une modeste collection de photographies originales. Le tirage original, albuminé ou argentique, offre une émotion particulière, celle d'être en présence d'un objet unique, que von Gloeden a créé, qu'il a vendu à l'un des voyageurs de Taormina. Cette photographie, choisie et aimée, a été gardée dans une collection personnelle, dans un album intime, où elle a reflété rêves et désirs, en un temps où l'imagerie et le désir homosexuels étaient contraints à la clandestinité.

L'histoire de cette photographie, patinée par le regard, par l'amour d'un collectionneur anonyme, en constitue toute la valeur symbolique, à mes yeux...

J'aime ces photographies authentiques car elles permettent la transmission d'un regard et d'un désir... Depuis ceux de von Gloeden, qui a choisi son modèle et la mise en scène, jusqu'aux miens... Ce n'est pas le collectionneur qui choisit la photographie, c'est la photographie qui choisit le collectionneur...

Butterfly


Dear reader of my blog,

This blog was created a year ago... My project was to unfold the thread of a free rêverie and thoughts association about the photographic art of baron Wilhelm von Gloeden. I felt in love with his photographs, his models, with the neo-arcadian background he used to catch the beauty of Taormina's boys and young men. I was moved by the way he was looking at them, his vision inspired me, his photographs express a sensitivity, a desire that were his own, that are mine too.

I was introduced in von Gloeden's universe by art books displaying reproductions of his photographs... I decided to start a small collection of original photographs. An original print, either albumen or argentic, will provide the owner, or the viewer, with a special feeling: the feeling to look at a unique artefact, creatd by von Gloeden himself, sold to one of the travelers who visited Taormina at the very beginning of the XXth c. This particular photograph was chosen and loved, was kept in a private collection, in an intimate album, where it mirrored dreams and desires, when gay love and imagery had to be clandestine.

The history of THIS particular photograph, displaying the patina given by a gaze, by the love of an unknown collector, makes all its symbolic value for me...

I love so much these vintage photographs, because they allow the transmission of a gaze and a desire... Von Gloeden was the first: he chose the model, the stage set-up of the photograph... I am the last, I am the viewer, today, of this unique photograph... A collector does not choose the photograph, it is the photograph that chooses the collector...

Butterfly

Sunday, August 1, 2010

Prince of Taormina


"Dear Wilhelm,

It was on November 3d, 1899... I was sailing from Alexandria to Marseille. I stayed for a few days in Palermo, and I visited you in Taormina, in your alchemist's palace, Piazza San Domenico... You allowed me to look at your recent photographs, and I felt in love with a portrait, with a boy...

It was on November 3d, as your stamp testifies, "W. v. Gloeden Kunstverlag, Deponirt 3 Nov. 1899, Taormina Sicilia". 



He is the Prince of Taormina, he is the most beautiful and noble of its blossoming boys... He is the most splendid of Taormina's ephebes, it seems he just escaped from the Parthenon's frieze, where he was celebrating, with the Athenian youth, the festival of his homeland, of Athena, the Panathenaics... I recognized him on the marble frieze of the immortal young horsemen, at the British Museum...


Wilhelm, my friend, how could anyone fall in love with a marble boy, with a photograph ?

Philip, you should tell me, what is love ? Are we supposed to love the beauty of a body, the beauty of a soul ?

Wilhelm, my friend, your photographs display both, beauty of bodies leads the viewer to the beauty of souls... You are, I am a Platonician... I am in love with a photograph, a shade, a reflection, and I am lead toward the idea of beauty...

I love this boy, because everything in him is inspiring me, is talking to me... I love the melancholy of his gaze, the white strip crossing his black hairs, I love his closed lips, enclosing his breath and his voice, his beardless cheeks, his smooth and muscular chest...

I would love so much to tell him... I would love so much... I would love so much to tell him...

Will he ever know, this boy I never met, will he ever know that his beauty makes me dream, dreams of love and of tender words, dreams of confidence and silent gazes, where my eyes would dive into his eyes... 

Will he ever know, my Prince of Taormina, that I am talking with him in my dreams and that I am writing for him poems he will never read ?

Wilhelm, my friend, your photographs make me dream about boys I never met...


I love to look at the reverse side of my photograph, to look through the paper at the light of a lamp... I can see the face of my loved one, of my boy friend, of my Prince of Taormina... I look at him as a reflection fading away, among the shades of time... A photograph is useless when the face is engraved in my heart...

Your friend, comme toujours,

Philip

Von Gloeden Archive, Letter from Philip X to W. von Gloeden, call number 1899/11/20/15.

Le Prince de Taormina

"Cher Wilhelm,

C'était le 3 Novembre 1899... Je revenais d'Alexandrie, je partais vers Marseille. Je m'arrêtais à Palerme, et je vins vous voir à Taormina, dans votre palais d'alchimiste, Piazza San Domenico... Vous m'avez montré vos nouvelles photographies, je suis tombé amoureux d'un portrait, d'un garçon...

C'était le 3 Novembre 1899, comme en témoigne votre tampon, "W. v. Gloeden Kunstverlag, Deponirt 3 Nov. 1899, Taormina Sicilia".  



Il est le prince de Taormina, le plus beau, le plus noble de ses garçons dans la fleur de l'âge... Il est le plus royal de ses éphèbes, il semble échappé de la frise du Parthénon, où avec la jeunesse athénienne, il célébrait la fête de sa cité, la fête d'Athéna, les Panathénées. Je l'ai reconnu sur la frise de marbre des immortels cavaliers, au British Museum... 




Wilhelm, mon ami, peut-on tomber amoureux d'un garçon de marbre, d'une photographie ?

Philip, me direz-vous, qu'est-ce qu'aimer ? Aime-t-on la beauté d'un corps, la beauté d'une âme ? 

Wilhelm, mon ami, vos photographies montrent les deux, la beauté des corps conduit à la beauté des âmes... Vous êtes, je suis un platonicien dans l'âme... Amoureux d'une photographie, une ombre, un reflet, je suis conduit vers l'idée même de la beauté... 

J'aime ce garçon parce que tout en lui m'inspire et me parle... J'aime la mélancolie de son regard, le bandeau blanc qui traverse sa chevelure noire, les lèvres fermées qui referment le souffle et la voix, les joues sans barbe, la plaine lisse et musclée de la poitrine...

J'aimerais tant lui dire... J'aimerais tant... J'aimerais tant lui dire...

Saura-t-il jamais, ce garçon que je n'ai jamais rencontré, que sa beauté me fait rêver, des rêves d'amour et de mots tendres, des rêves de confidences et de regards silencieux, où les yeux de l'un plongeraient dans les yeux de l'autre....


Saura-t-il jamais, mon Prince de Taormina, que je lui parle dans mes rêves et que j'écris des poème qu'il ne lira jamais ?

Wilhem, mon ami, vos photographies me font rêver de garçons que je n'ai jamais rencontrés...


J'aime retourner cette photographie et la regarder à la lumière de ma lampe... Je vois le visage de mon aimé, de mon amant, de mon prince de Taormina... Je le vois comme un reflet s'effaçant dans les brumes du temps, il n'est plus besoin d'image lorsque son visage est gravé dans mon coeur...

Votre affectionné, as always,

Philip"

Von Gloeden Archive, Lettre de Philip X à W. von Gloeden, call number 1899/11/20/15.