"Les ciociari arrivaient par la via Sistina qui relie Santa-Maria-Maggiore, leur quartier général, aux terrasses supérieures de la Trinità de’ Monti et à celles toutes proches de la Villa Médicis et du Pincio. Avec une nonchalance parée de quelque noblesse l’un d’eux se montre et descend ; d’autres suivent. Celui-ci a dix-sept ou dix-huit ans. Éphèbe robuste, la jeune architecture de son corps s’enferme, pour le torse sinueux, dans une chemise de grosse toile dont la blancheur se plaît aux chaudes carnations de la nuque et du cou ; un gilet, qui fut de velours bleu, mal dissimule son délabrement sous une veste courte, vert bouteille d’une nuance décolorée, qui fait valoir merveilleusement la culotte de velours rubis, carmin épuisé, dans la pourpre duquel le soleil a longtemps mordu de ses dents brûlantes en lui abandonnant de son éclat, de sa chaleur et presque de sa majesté, tant les cuisses du jeune gars et ses hanches sensuelles paraissent d’une olympienne et durable beauté…
Il descend lentement, les yeux fixés au loin, guetteur… L’exquise harmonie de son corps bien formé magnifie ses belles attitudes et rehausse le bariolage puissant des loques collées à ses membres pleins de sève… Il descend, pas à pas, sans heurts. Des lanières de cuir se croisent autour de ses chevilles et montent de ses ciocie, mi-sandales, mi-brodequins, jusqu’à ses mollets énergiques aux rondeurs qui se dilatent suivant la marche sous l’épais tricot des chausses bleues ou rouges. De grands cheveux bruns, sur son front et sur l’ovale sévère de son visage, tombent d’un feutre où se débattent les feux de juillet et les averses de mars sous la garde cavalière d’une plume érigée de plusieurs rubans hauts en couleur.
Il descend lentement, les yeux fixés au loin, guetteur… L’exquise harmonie de son corps bien formé magnifie ses belles attitudes et rehausse le bariolage puissant des loques collées à ses membres pleins de sève… Il descend, pas à pas, sans heurts. Des lanières de cuir se croisent autour de ses chevilles et montent de ses ciocie, mi-sandales, mi-brodequins, jusqu’à ses mollets énergiques aux rondeurs qui se dilatent suivant la marche sous l’épais tricot des chausses bleues ou rouges. De grands cheveux bruns, sur son front et sur l’ovale sévère de son visage, tombent d’un feutre où se débattent les feux de juillet et les averses de mars sous la garde cavalière d’une plume érigée de plusieurs rubans hauts en couleur.
Le jeune homme a des yeux voilés d’ombres mélancoliques, une bouche ardente, rouge de sensualité. Et le doux éclat de ses prunelles, le pli dédaigneux de ses lèvres, mieux que ses vêtements éblouissants, le rejettent hors de notre monde faux et composé dans ce monde qui n’est plus, où rien ne primait le paganisme riant et sans inquiétude, les joies faciles et souveraines de la chair…
Et c’est, dans les tonalités amorties des grenats, des bleus, des céladons, des ocres vives, des jonquilles et des vermillons, dans le linge écru des chemises et l’outremer des jambes nerveuses lacées de cuir fauve, dans le noble encadrement des chevelures ébouriffées, une apparition d’humanité superbe et bien au-dessus de nos raffinements sans grandeur. Tels que Pierre les voit, ces ciociari, rudes et archaïques, gracieux et félins, voluptueux ou paisibles, la préciosité mesquine de notre civilisation lui paraît singulièrement factice et misérable auprès de leur quiétude abandonnée aux inéluctables destinées sur quoi continuent peut-être de veiller ces dieux indulgents dont nous avons renversé les autels !"
Achille Essebac, L'élu, extrait du Chapitre 3, Paris, L'Edition Moderne, Ambert et Cie, 1902.
Achille Essebac, L'élu, extrait du Chapitre 3, Paris, L'Edition Moderne, Ambert et Cie, 1902.
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