Sunday, December 26, 2010

Rêveries


"Mon cher Wilhelm, mon vieil ami,

Je ne me lasse pas de rêver de Taormina, des temps heureux que j'ai passés dans le village, de mes promenades dans ses paysages sublimes, des moments de rêverie partagés avec vous, sur une terrasse, sur un chemin, dans le théâtre grec, dans votre jardin...

Comment oublier Pasquale et Peppino, Giovanni et Pietro, et tant d'autres qui sont les acteurs de votre merveilleux théâtre d'ombres et de lumières... Comment oublier les rires et les chants, les regards et les silences, et les étonnantes métamorphoses de von Gloeden, bien dignes de celles d'Ovide, qui transforment bergers, pêcheurs et paysans en éphèbes arcadiens, en jeunes dieux Olympiens...

Vos photographies, mon vieil ami, me réchauffent le coeur dans l'hiver de ma vie, elles m'invitent au théâtre de l'imaginaire, où l'on oublie le temps, la réalité, pour vivre mille autres vies, ailleurs, autrefois, autrement...

La photographie de vos garçons est l'art le plus platonicien qui soit... Art platonicien, car comme le disaient les philosophes anciens, la beauté des garçons ne pouvait échapper qu'aux aveugles — il leur restait cependant le son de la voix, les rires, la douceur d'un visage lu au bout des doigts, la caresse d'une main...

Des garçons de Taormina, vos photographies nous donnent de capter et de posséder l'essence, la quintessence, un reflet déposé sur une feuille de papier, au terme d'un processus digne des plus grands alchimistes... Nous passons des corps à l'image, qui immortalise leur beauté et pérennise leur jeunesse... Mais l'image, les images, celles que l'on collectionne patiemment au fil de sa vie, au fil des voyages à Taormina, vos photographies, mon vieil ami, conduisent à se détacher des beaux garçons pour atteindre à la beauté des garçons, à son concept, à son idée, à son essence intemporelle...

Chacune de vos photographies, Wilhelm, est un soleil resplendissant d'évidence, et je me sens comme un nouvel Icare, attiré par la lumière au risque de me brûler les yeux, de me brûler le coeur...

Certains rêves sont de tels moments de plénitude, il n'est de vrai de désir que pour les horizons que l'on ne pourra atteindre...

Votre ami

Philip"

Philip, Lettre à Wilhelm von Gloeden, 26 décembre 1897 (Von Gloeden Archive, call number 1897/12/26/1)

1 comment:

Tiago said...

Excellent portrait de Pasquale.