Friday, January 14, 2011

Le songe d'un jour d'été / A Midsummer Day's Dream


"Cher Wilhelm,

Te souviens-tu de ma dernière visite chez toi, à Taormina, dans ta maison de la rue San Domenico ? J'étais resté longtemps pensif devant le panneau où tu affichais tes plus belles photographies, ton catalogue, en quelque sorte... Quelle photographie choisir et ramener avec moi, pour prolonger mes rêves siciliens, mes rêves de Taormina.. ?

Dear Wilhelm,

Do you remember the last time I visited you, in Taormina, at your place, San Domenico street ? I stayed quite a long time dreaming in front of the wood pannel where you displayed your most beautiful photographs... It was so to say your catalogue... Which photograph should I choose and bring back home, to extend my Sicilian dreams, my dreams of Taormina ?



J'avais eu l'attention attirée par une photographie au format inhabituel, allongé, où trois garçons se trouvaient entre le ciel et la terre...

I noticed a special photograph, with an unusual size, an onlong photograph, where three boys were featured, between sky and earth...


Cette photographie m'avait fait rêver par son atmosphère, par les montagnes au loin, se dessinant sur le ciel, par les bras de l'olivier, tendus vers le feu solaire...

This photograph made me dream, through its atmosphere, through the mountains in the background, whose outline was drawn on the sky, through the olive tree branchs, raised against the fire of the sun...


C'était un jour de canicule, au coeur de l'été, où l'air tremblait de chaleur, où les montagnes s'évanouissaient dans une brume de chaleur...

It was a day at the peak of a heat wave, during summer, where air itself was shivering with heat, where mountains were fading away, in the shades of heat...
Même le blé était brûlé, brûlé de chaleur, cuit comme le pain, tant il faisait chaud, à Taormina, durant cet été...

Even  wheat was burnt out, burnt by heat, burnt like bread... It was such a hot summer in Taormina...

Les jeunes bergers dans cette campagne sans ombre écoutaient le chant obsédant des cigales, leurs yeux se fermaient de sommeil, tant il faisait chaud, dans l'été de Taormina....

Young shepherds in this shadeless countryside were listening to the obsessing cicadas song, and their sleepy eyes were about to close...

Il fallait pourtant veiller au troupeau, rassembler les chèvres avant la nuit, et revenir au village pour trouver la fraîcheur des maisons aux murs épais...

But they had to take care of the flock of their goats before the night fall, they had to come back to the village, where they would enjoy the cool of their houses with so thick walls... 
"Ne vous endormez pas !", disait la flûte de Peppino, "allons, les gars, ne vous endormez pas ! Il est temps, il est temps de partir, le jour va tomber bientôt, même le soleil va dormir... allons, les gars, pas encore, ne vous endormez pas !"

"Don't fall asleep !" was singing Peppino's flute, "come on, guys, don't fall asleep ! It is time, time to go, this day with end soon, even the sun will go to sleep... come on guys, not now, please, don't fall asleep now !"


Les jeunes bergers étaient bercés par la flûte de Peppino, par le chant des cigales, il faisait si chaud, en cet été de canicule, dans la campagne de Taormina... Il faisait si chaud, tout invitait au repos, au rêve, à la mélancolie, tout invitait à ne plus bouger, face à ton appareil magique, Wilhelm, mon ami, ton appareil qui attrape l'air et les montagnes, les bergers et la chaleur, le blé qui brûle et la mélodie d'une flûte...

Peppino's flute was rocking the young shepherds, the cicadas song was rocking them too, it was such a hot day, it was the peak of a hot wave in the land of Taormina... It was so hot, everything was a call for a rest, for a dream, for melancholy, everything was a call for staying motionless in front of your magical camera, Wilhelm, my friend, your camera able to catch air and mountains, shepherds and the heat, burning wheat and a flute's melody...

Wilhelm, mon vieil ami, c'est cette photographie que j'ai choisie, c'est un instant d'éternité, le temps est suspendu, tout est si calme, tout est si paisible... C'est un instant d'éternité, mais aussi un instant qui s'efface, tempus fugit, tout s'enfuit, mais la jeunesse reste à jamais, penchée au bord d'un instant d'éternité, au coeur de l'été... 

Tout invite à rêver, entre la veille et le sommeil, tout invite à penser, qu'est-ce que le temps, qu'est-ce que le temps qu'il fait, qu'est-ce que le moment qui passe, qu'est-ce que l'éternité... ?

Je ne me lasserai jamais d'interroger la mélancolie de cette photographie, Wilhelm, mon vieil ami, la mélancolie de ce qui fut et de ce qui n'est plus, mais que je peux encore voir aujourd'hui, et même entendre, car, oui, en penchant bien l'oreille, j'entends encore la flûte de Peppino...

Avec mon immense amitié, Wilhelm, mon ami, mon vieil ami, avec toute mon admiration, ton art nous survivra, et fera rêver, encore et encore, le songe d'un jour d'été...

Philip"


Wilhelm, my dear old friend, I chose this photograph, because it is a moment of eternity, time seems to be stopped, everything is so quiet, so peaceful... It is a moment of eternity, but also a moment fading away, tempus fugit, everything will fade away, but youths stays forever, on the edge of a moment of eternity, at the peak of summer..

Everything invites the viewer to dream, between the waking state and sleep, everything invites to meditate, what is time, what is weather, what is a moment fading away, what is eternity.. ?

I will never grow tired of questioning this photograph's melancholy, Wilhelm, my old friend, the melancholy of what was once and is no more, of what I can still see today, and even listen to... Yes, if I am pricking up my ears, I can still hear Peppino's flute...

With my infinite friendship, Wilhelm, my friend, my old friend, with all my admiration, your art will outlive us and will inspire forever a midsummer's day dream...

Philip"

Philip, Lettre à Wilhelm von Gloeden, 12 Octobre 1898 (Von Gloeden Archive, call number 1898/10/12/05)